« Welcome to “Le Monde in English” » claironne le site du Monde pour annoncer « une édition numérique en anglais composée de traductions d’articles ». Le propos qui suit de Gilles van Kote, le directeur délégué aux relations avec les lecteurs tâche de nous éclairer : non, Le Monde ne renie rien de son rôle majeur d’acteur de la Francophonie. D’ailleurs, pour preuve, ne recrute-t-il pas de nouveaux rédacteurs à Bruxelles et à Montréal, citadelles francophones ? N’a-t-il pas lancé il y a peu Le Monde Afrique parce que le continent est l’avenir, démographique du moins, de la francophonie ?

Dans le cadre de la mondialisation de l’information, et au risque de la tautologie, il semble que ce soit dans une démarche de média mondial que Le Monde fait le choix de s’adresser à un lectorat anglophone. Réjouissons-nous d’abord de l’opportunité pour de nouveaux lecteurs de découvrir, même en anglais, le point du « quotidien de référence » français. « Le Monde in English » est un pari de croissance dont on peut imaginer qu’il a été pensé en amont pour être gagnant. On se réjouira aussi pour Le Monde si le nouveau lectorat « acquis » à moindre coût lui permet de développer de nouveaux projets (on peut même, soyons fous, les envisager en français).

Si Le Monde est humble au moment de lancer son pari en reconnaissant que l’espace anglophone est un espace « où les médias de qualité ne manquent pas », qu’il soit tout de même permis de s’interroger sur cette démarche.

Pour rassurer les aficionados de la langue de Shakespeare quant à la qualité de la traduction, Gilles van Kote nous informe que ce sera l’affaire de l’intelligence artificielle assistée d’une équipe resserrée dont « certains journalistes dont la langue maternelle est l’anglais ». Plus surprenant comme argument, on apprend que Le Monde in English – en se demandant pourquoi « Le Monde » n’est tout simplement pas devenu « The World », – ne publiera rien d’original mais ne fera que traduire des articles en français publiés dans Le Monde. On espère que Courrier International, du groupe Le Monde d’ailleurs, ne tremble pas face à l’arrivée de ce nouveau rival.

Qui est intéressé par lire un journal français dans un anglais traduit partiellement par une intelligence artificielle ? Les correspondants en France des journaux anglophones s’acquittent déjà, et très bien, de ce travail. Pourquoi donc Le Monde estime que l’offre existante, pourtant pléthorique, n’est pas suffisante pour que des lecteurs disposent du point de vue français sur les affaires du monde ? En tant que lecteur français, du Monde notamment, on reconnaît lire avec intérêt les articles des correspondants à l’étranger du journal, avoir à l’occasion lu directement les journaux étrangers mais n’avoir que rarement ressenti le besoin ou l’envie de lire une traduction en français d’un journal étranger.

En effet, il est légitime d’envisager une langue, quelle qu’elle soit, comme une manière de dire et de comprendre le monde et non seulement comme un moyen substituable sans dommage par un autre. Si on peut souhaiter bon vent à « Le Monde in English », on se serait tout autant (voir plus !) réjoui  que les ressources affectées à ce nouveau projet soient affectées au bénéfice des lecteurs francophones. En effet, si on ne doute pas de la qualité des traductions en anglais que proposera ce grand journal qu’est Le Monde, on peut aussi penser que son originalité à préserver et à renforcer est celle d’être un média proposant un point de vue français en français … et que c’est ce que recherchent ses lecteurs.

Attirer des lecteurs franglais souhaitant avoir un journal français mais en anglais, bingo ou fiasco ? Nul doute que les débuts de « Le Monde in English » seront déterminants. Comme agence de communication (dont le nom est en latin !), soyons beaux joueurs (fair play) et reconnaissons à tout le moins le beau coup double de communication du Monde : les francophones acharnés scruteront les articles pour s’assurer que le journal de Beuve-Méry est toujours le phare du journalisme en français quand les nouveaux lecteurs anglophones, et les annonceurs – qui sont au cœur de l’équilibre économique des journaux- se réjouiront eux de lire un nouveau média « global ».

Comment dit-on win-win déjà en français ?