La question est volontairement provocante mais dit bien la transformation fondamentale en cours dans le monde de l’entreprise. Changement du rapport au travail, diffusion du télétravail, aspirations au sens et à l’utilité, priorité à l’individualisme et à l’épanouissement personnel, refus de la carrière linéaire, modification du rapport de force employeurs-employés, accélération technologique : l’entreprise est fragilisée dans son espace-temps (tout le monde ne travaille plus en même temps, dans le même lieu) et percutée de tous côtés dans sa forme traditionnelle. 

Le monde change, une forme de révolution est là, l’entreprise « classique » est bousculée et…les cadres dirigeants paraissent en avoir une pleine conscience. Par conviction, par lucidité, par pragmatisme ou par intérêt, ils se disent ainsi largement prêts à embrasser les transformations en cours, bien plus qu’à y résister. La nécessité de bouger, de prendre en compte les nouvelles aspirations au travail, de modifier les organisations de travail, de travailler les sujets RH, de renforcer le rôle des indicateurs extra-financiers dans la performance de l’entreprise fait consensus pour pouvoir continuer à recruter, à fidéliser, bref à pérenniser le collectif qu’est l’entreprise.

La vision stratégique dominante est qu’il va falloir que l’entreprise bouge fortement pour continuer à exister. Qu’on en juge : une très large majorité de dirigeants déclare aujourd’hui « souhaitable » l’extension du télétravail et le passage à la semaine de 4 jours d’ici 2030, et place l’amélioration de la qualité de vie au travail et l’augmentation des salaires en tête des priorités de leur DRH. Une vision partagée, mais à degré sensiblement moindre par le management intermédiaire, sans doute moins focalisé sur les enjeux stratégiques et plus en prise avec la gestion quotidienne des impacts du changement. Les dirigeants sont lucides sur les métamorphoses du travail et font, de fait, des réponses aux nouvelles demandes sociales, une de leur composante stratégique. A raison, puisque plus de trois quart des jeunes diplômés perçoivent comme souhaitables le renforcement des indicateurs extra-financiers, l’extension du télétravail, le passage à la semaine de 4 jours et l’essor du management de transition.  

Cette prise de conscience est sans doute salutaire, tant le rapport à l’entreprise des jeunes générations se modifie en effet et tant le modèle de la carrière traditionnelle a vécu. L’entreprise ne fait plus envie qu’à un jeune diplômé sur deux… et à peine un peu plus d’un tiers des jeunes diplômées. Deux tiers des jeunes diplômés préfèrent le temps à l’argent (l’arbitrage prévaut majoritairement même chez ceux issus d’écoles de commerce), un sur deux envisage son parcours professionnel hors du salariat permanent et un sur dix seulement croit encore à une carrière linéaire au sein de la même entreprise. Les entreprises ne peuvent plus penser l’organisation du travail sans prendre en compte l’individualisme, la quête d’épanouissement et d’autonomie qui nourrit et motive les jeunes générations.  

Mais les cadres dirigeants, s’ils s’engagent dans leurs intentions déclaratives, doivent encore faire les preuves de leur volonté de changement, tant le hiatus demeure avec les représentations des jeunes générations. Deux tiers des jeunes diplômés pensent ainsi qu’ils ne comprennent pas le monde et ses changements, trois quarts qu’ils sont insuffisamment sensibles à l’urgence climatique et aux responsabilités des entreprises et près de neuf sur dix qu’ils ne comprennent pas les aspirations de la jeunesse. Qu’ils pensent que les dirigeants seront contraints de changer, ou qu’ils fassent confiance à leur propre capacité de pression et d’entraînement, les jeunes diplômés se retrouvent avec les dirigeants et le management sur quelques anticipations communes, une large majorité d’entre eux pronostiquant qu’en 2030 les entreprises seront plus attentives à leurs impacts sociaux et environnementaux, plus inclusives et plus attentives à leurs collaborateurs. Les dirigeants restent toutefois bien plus optimistes que les jeunes sur la capacité des entreprises à être plus humaines et plus collectives.  

Pour faire que leur entreprise soit recrutée par les futurs talents, les dirigeants d’entreprises de plus de 50 salariés ont stratégiquement compris qu’il fallait épouser de profondes modifications de l’organisation du travail et se disent prêts à se transformer. Il leur reste à convaincre une jeune génération de diplômés pas emballée par l’entreprise, encore dubitative sur les intentions réelles des dirigeantes, mais prête toutefois à penser que, subies ou choisies, des transformations positives sont en cours.  

Samuel Jequier, DGA de Bona fidé, président de l’Institut Bona fidé 

Retrouvez les résultats des deux études exclusives réalisées par l’Institut Bona fidé :