Journée Officielle de Lutte contre le Prêt-à-Penser  (1/8) | Tout le monde sait désormais que le colibri seul n’arrêtera pas le changement climatique. Pourtant on continue d’accélérer vers le mur, alors qu’il est urgent de ralentir, de s’arrêter… voire de reculer. Puisque la décroissance est un gros mot, n’est-il pas temps de repenser a minima un système prônant sobriété et ralentissement, autrement dit une économie au service de l’humanité et de la planète… et non l’inverse ?

Le 17 novembre dernier, l’agence Bona fidé organisait à La Gaité Lyrique la première Journée Officielle de Lutte contre le Prêt-à-Penser. L’une des 8 tables rondes était dédiée à l’un des mots clés de ces derniers mois : la sobriété.

Les échanges étaient animés par Lucile Schmid, cofondatrice de la Fabrique écologique, assistée de Léon de Perthuis, directeur conseil chez Bona fidé. Cet article vous propose une synthèse de cette réflexion commune.

Les participants :

  • Antoine Fénoglio, designer et cofondateur de l’agence de design Les Sismo.
  • Sarah Fève, consultante chez CEGEDIM, groupe de gestion des flux numériques de l’écosystème santé.
  • Amélie Ravier, directrice de la communication digitale du groupe Thales.
  • Serge Schick, directeur du développement international et des ressources propres de France Médias Monde.

Quels constats communs ?

Alors qu’il suscitait des moqueries il y a quelques années, le terme de sobriété s’est imposé dans le débat public. Cependant, tout le monde ne lui attribue pas la même force ni le même sens !

Rien qu’autour de la table, chacun a sa perception du terme. Dans certaines entreprises, « la sobriété n’existe pas » face à une volonté de relance et de rattrapage post-covid. Dans d’autres, la volonté est là, et s’incarne notamment dans la réduction des dépenses énergétiques, jusqu’à ce qu’elle heurte un seuil incompressible au-delà duquel cela remet en cause la mission même de l’entreprise. C’est ici un manque d’offre alternative qui fixe la limite de l’effort. Dans d’autres cas enfin, dans certains milieux qui ont déjà fait leur révolution culturelle – comme dans la permaculture- employer le terme de sobriété paraît incongru.

La sobriété peut également aller au-delà de l’économie d’énergie. Elle peut être directement opposée au progrès et être à la fois incomprise et célébrée pour cela. Alors qu’il est difficile de ne pas passer pour donneur de leçon à vanter la sobriété à des populations qui expérimentent quotidiennement des coupures d’électricité, cette même notion est plébiscitée par les jeunes ingénieurs d’un géant industriel français qui se sont majoritairement prononcés pour arrêter l’innovation lors d’un procès fictif du progrès technique. Pire encore, la sobriété peut être utilisée comme paravent du low-cost dont la vertu supposée ne servirait alors qu’à masquer une étape supplémentaire de maximisation du profit, sans vision ou supplément d’âme.

Malgré ces acceptions différentes, il est possible de s’accorder sur deux constantes : la sobriété est un processus et un non un état, c’est un terme de transition, les personnes et organisations déjà sobres ne l’utilisent pas ; la sobriété ne peut se comprendre sans aborder son rapport à la création de valeur, il faut pouvoir parler de sobriété des profits !

Quelle(s) vision(s) pour l’avenir ?

Considérer la sobriété comme un processus qui doit être compatible avec le profit pose une question simple : est-on collectivement capables de mener cette transition ? Peut-on transformer les modèles existants ou notre seul espoir est-il de les remplacer par quelque chose de nouveau et de désirable ?

Car la transition a un coût. L’imposer indifféremment en espérant que l’évolution des comportements individuels entrainera une transformation structurante n’est pas possible, encore moins lorsque cela concerne les plus précaires qui n’ont jamais pu profiter de l’abondance dont on décrète la fin. Le lien entre la responsabilité individuelle et la responsabilité collective doit impérativement être fait et la justice sociale être un élément structurant des politiques de sobriété.

Il n’est pas ici question de nier les bénéfices d’une prise de conscience accrue des limites de notre modèle ou la réalité des changements opérés par un certain nombre d’acteurs mais simplement d’affirmer que si la sobriété se résume à conserver le même modèle en mode dégradé, elle est vouée à l’échec.

Pour éviter ce piège, une vision de la sobriété pourrait être de la voir comme un cadre plutôt qu’une somme d’actions, une méthode plutôt qu’un idéal, à l’image de la théorie du donut qui privilégie la liberté d’action mais bornée par les limites planétaires et les frontières sociales.

Quelle feuille de route pour les 25 prochaines années ?

Dès qu’on sort la sobriété des débats abstraits, elle apparaît dans toute sa complexité et son caractère contraignant, entre radicalité et realpolitik.

La première étape de la feuille de route d’ici à 2037 serait de ne pas s’attacher au terme lui-même, qui risque, au fur et à mesure, de prendre encore d’autres significations. Face à cette incertitude, on peut imaginer un principe simple : toujours partir de la réalité des territoires et des populations concernés.

La question de la sobriété est donc avant tout une question démocratique puisqu’il s’agit d’arbitrer entre contrainte et volonté, de décider alternativement de ce que l’on interdit, et à qui, et de ce qu’on promeut et pourquoi.

Revenir à la démocratie permet de dépasser les seuils que les acteurs privés ne franchiront jamais d’eux-mêmes pour imposer un certain nombre de décisions au nom de l’intérêt général. Cela peut prendre la forme de décisions très concrètes, comme interdire les offres illimitées, fondamentalement incompatibles avec l’idée d’une consommation raisonnée, ou d’un mouvement plus large de transition par l’exemplarité.

Cependant, l’enjeu central de la sobriété en 2037 est sa désirabilité, de ne plus la considérer comme un renoncement ou un manque mais de valoriser ce qu’on y gagne, en termes de qualité de vie, d’intensité du lien social, de richesse collective, et au-delà de la préservation de l’environnement.