Aller au contenu
Signaux Forts N°5

"Kit de survie électoral"

🇫🇷 14 mots qui définissent 2022
Tendance, idée, objet : nos invités ont choisi le mot qui résumait le mieux la campagne qui s’achève.
🏡 La campagne vue des territoires
Quand les médias entament leurs tours de France.🎙️ La micro-interview électorale
Pouvoir d’achat, logement, lien social : comment Ouest-France a couvert l’élection au plus près des Français.📙 Le book club de la présidentielle
Romanciers, candidats, chercheurs, journalistes-enquêteurs : leurs ouvrages ont imposé le tempo de la campagne et défini les termes du débat électoral.
🗳️ La grande curation élyséenne
Analyses d’opinion fouillées, études originales, auditions thématiques : la grande curation présidentielle de Signaux Forts.

Bonnes lectures !

Signaux forts 5 « Kit de survie électoral »

 

L’heure du bilan

Ils ont choisi un mot pour résumer la campagne

Et s’il fallait résumer en un mot (tendance, notion, objet ou média) la campagne présidentielle qui s’achève ? Ils se sont prêtés au jeu pour Signaux Forts, voici leurs réponses.

Le romancier Nicolas Mathieu a choisi le mot hoodie, en référence au sweat à capuche porté par Emmanuel Macron à l’Elysée sur une photo diffusée pendant la crise ukrainienne.

Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion à l’Ifop a mentionné Les Visiteurs, le film que TF1 a programmé à 21h30 le soir du premier tour, symptôme du peu d’écho de la campagne dans la population.

Directrice déléguée de L’Express, Anne Rosencher a choisi Face à Baba, l’émission politique de Cyril Hanouna révélatrice des nouveaux codes de communication politique.

Robert Zarader, président de l’agence Bona fidé, a choisi la précarité : économique, sociale et sanitaire, elle concerne désormais l’expérience démocratique, et se prolonge d’un sentiment de dépossession de vie et de déclassement citoyen.

Elena Scappaticci, rédactrice en chef du site Usbek & Rica, a choisi Twitch, la plateforme de vidéos en direct populaire chez les jeunes, sur laquelle fut organisé le « débat du siècle » sur le réchauffement climatique.

Karim Duval, humoriste le plus populaire du réseau Linkedin, a choisi le bruit de fond, celui des candidats qu’on entend trop, comme de ceux dont on perçoit à peine la voix lointaine.

Raphaël Llorca, communicant et essayiste, a mentionné la Fenêtre d’Overton, un concept qui désigne l’extension du champ du dicible et de l’acceptable dans le débat public.

Chloé Ridel, directrice adjointe de l’Institut Rousseau, évoque une mayonnaise… qui ne prendrait pas, vaste agitation politique et médiatique regardée par les Français avec passivité et indifférence.

Pour Diana Filippova, romancière et essayiste, le principal candidat à sa réélection est ailleurs, tout comme le sont l’opposition, l’électeur, la question climatique ou l’espoir.

Un tableau qui inspire au journaliste Jean-Marie Durand l’adjectif sinistre ; il y ajoute la maxime néolibérale « there is no alternative » (à la réélection du président sortant).

Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès, a répondu : flemme (d’écouter les débats, de s’intéresser à l’élection, de voter).

Philosophe du cocooning, Vincent Cocquebert a retenu une temporalité, celle de la dernière minute qui s’illustre dans la forte proportion d’électeurs encore indécis à deux jours du scrutin.

Gérald Andrieu, directeur adjoint de la rédaction de Marianne, insiste sur l’épuisement démocratique, journalistique et humain à la veille d’un scrutin dont l’abstention s’annonce record.

Pour Anne-Claire Ruel, créatrice du compte Instagram d’analyse de communication politique Call Pol, c’est la notion d’absence – de confrontation, de projet, d’électeurs – qui caractérise cette élection.

L’élection vous a inspiré un mot, une formule, une impression, un objet politico-médiatique ? Écrivez-nous par retour de mail, nous publierons vos réponses.

La campagne vue des territoires

L’esprit de Pernaut plane sur la campagne

© TF1

Jean-Pierre Pernaut est décédé le 2 mars, et son legs journalistique fut unanimement salué. Faut-il y voir un signe ? Moment privilégié de nos grandes querelles nationales, l’élection présidentielle a elle aussi pris son tournant local. Les grands organes de presse ont envoyé leurs journalistes prendre le pouls et la température des territoires, des Endroits de vote de Libération à la Douce France de L’Obs, en passant par les Fragments de France puis de campagne du Monde, ou encore les Portraits de France de The Conversation.

Plus insolite, la presse quotidienne régionale s’est elle aussi livrée au même exercice de psychanalyse territoriale, comme avec les Routes de campagne du Courrier Picard, lequel a envoyé ses journalistes faire la tournée des popotes en camping-car, ou Ouest-France avec ses Immersions (lire également notre entretien ci-dessous).

Tout au long de la campagne, la saine habitude d’une lecture régulière de la presse régionale et locale permettait de mesurer que souvent, les thèmes qui vont faire le débat national y étaient anticipés (ainsi du pouvoir d’achat), de repérer des initiatives originales et de rappeler qu’une certaine France vit, innove et débat fort bien sous les radars politiques nationaux. Alignée sur cette géographie discrète et éclatée, la candidate RN aura réalisé de son côté une « campagne selfie » et sous les radars, souvent qualifiée de campagne à bas bruit et proche du terrain.

La micro-interview électorale

Une campagne vue des marchés et des hypers

© Eric Marie – Ouest-France

615 journalistes, 58 rédactions locales. Principal quotidien français en diffusion, Ouest-France couvre l’ensemble du territoire, avec un ancrage historique dans les trois régions de l’Ouest : Bretagne, Normandie et Pays de la Loire. Le patron de l’info locale, Sébastien Grosmaître, nous raconte le choix du quotidien d’aborder la campagne au plus près des habitants.

Pour couvrir la campagne, vous êtes allé à la rencontre de vos lecteurs, sur les marchés traditionnels mais aussi sur les parkings d’Intermarché ou d’Aldi. Qu’avez-vous appris ?

Dès l’automne dernier, on a fait le choix d’aller à la rencontre des habitants et de parler de leurs préoccupations quotidiennes, en respectant une diversité territoriale (espaces urbains, périurbains et ruraux), sociale et générationnelle. On s’est vite rendu compte que ce qui intéressait les gens, c’était la cherté de la vie ou le coût du logement plus que les thèmes portés par Éric Zemmour. On a senti une grande fatigue du quotidien chez ceux qui travaillent, se sont éloignés de la ville et qui voient le prix de l’essence augmenter. On a aussi vu remonter très fortement la question de la désertification médicale et pas uniquement dans le rural.

On décrit souvent l’Ouest comme une France qui va bien. Les lieux de convivialité comme les bistrots de village et les associations semblent mieux résister qu’ailleurs…

La crise du récit collectif qui frappe la société française est moins palpable chez nous. Par ailleurs l’Ouest n’est pas encore trop touché par les phénomènes d’insécurité, en tout cas pas dans les villes moyennes. Il y a encore une culture collective, de la solidarité, dans les zones rurales mais également dans les quartiers des grandes villes et même dans les lotissements, dans lesquels les habitants organisent des rassemblements de quartier. C’est aussi une région agricole marquée par la culture associative et du travail. La vie y est parfois difficile mais il y a moins de pauvreté de vie sociale.

Ces dernières années, vous avez également pris en compte le déplacement d’une partie de la population vers les périphéries : était-ce un impensé journalistique ?

On a vu émerger une vie en périphérie qu’on ne couvrait pas parce qu’on se disait qu’il ne s’y passait rien. Comment on raconte la vie des lotissements, des zones commerciales et d’entrepôts logistiques ? On a donc décidé de sortir nos journalistes des centres-villes pour qu’ils couvrent le périurbain, le rural et tout ce qui se trouvait entre les deux, dans le but de développer une nouvelle narration journalistique qui prenne en compte ces espaces.

Alors que les campagnes souffrent parfois de dévitalisation, l’Ouest de la France est aux premières loges de l’exode urbain. Observez-vous ce phénomène sur le terrain ?

L’Ouest connaît une forte tension immobilière renforcée depuis le Covid. Il devient par exemple impossible de se loger à Angers. Sur tout le littoral, la tension est phénoménale, avec beaucoup de retraités à bon pouvoir d’achat qui achètent des maisons avec vue sur mer à des prix que les notaires jugent totalement déraisonnables. Les Sables-d’Olonne, Vannes, Saint-Malo ; toute la côte est concernée, de la Vendée à la Manche, en particulier sur les lignes TGV. Et les conséquences sont les mêmes partout : les jeunes ménages ne peuvent plus se loger et doivent s’éloigner. Les aides-soignantes habitent de plus en plus loin des villes. En bord de mer, on se retrouve avec des cafés et des restaurants qui ferment certains jours : le personnel ne veut plus faire trente bornes pour venir bosser.

Le book club de la présidentielle

De Zemmour à McKinsey : ces livres qui ont marqué la présidentielle

Ennuyeuse dans les médias, la campagne fut dense sur les étals des libraires. Deux romanciers, Michel Houellebecq en janvier, puis Nicolas Mathieu en février, ont fait irruption dans la campagne. Le premier en se projetant dans l’élection présidentielle de 2027 dans Anéantir, le second en situant l’intrigue de Connemara à l’approche de celle de 2017 (lire nos éditions précédentes). La présidentielle a même eu droit à son mook dédié avec Deux mille vingt-deux, revue éphémère et monothématique consacrée aux coulisses du pouvoir politico-médiatique.

Les livres-programmes. Rappelons que c’est avec un livre auto-édité paru en septembre 2021, La France n’a pas dit son dernier mot, qu’Éric Zemmour a lancé sa course vers l’Elysée, signant au passage le deuxième essai le plus vendu de l’année 2021 derrière La Familia grande de Camille Kouchner. Parmi ses concurrents, seul Jean-Luc Mélenchon s’est hissé dans les classements des meilleures ventes avec L’Avenir en commun, le programme qui porte sa « vision du monde », vendu 3 euros.

Les essais de combat. Si Zemmour fait vendre en librairie, il réveille également nombre de contradicteurs qui ont pris la plume. Le démographe Hervé Le Bras démonte la thèse du « grand remplacement », la linguiste Cécile Alduy décrypte La langue de Zemmour, tandis qu’un collectif de seize historiens signe Zemmour contre l’histoire. Deux ouvrages qui figuraient encore récemment au classement des meilleures ventes de la catégorie non fiction. En comparaison de cette vogue livresque, Marine Le Pen aura fait l’objet d’un intérêt éditorial moindre, à l’exception du communicant Raphaël Llorca, qui analyse son univers esthétique et sémantique adouci dans Les nouveaux masques de l’extrême droite.

Les enquêtes journalistiques. Avec Le Traître et le néant, leur portrait collectif d’Emmanuel Macron, pour lequel ils ont interrogé 110 témoins de son entourage, le tandem d’enquêteurs au Monde composé de Gérard Davet et de Fabrice Lhomme termine 34e du palmarès annuel des best-sellers de L’Express. C’est avec une autre enquête, Les Infiltrés des journalistes de L’Obs Matthieu Aron et Caroline Michel-Aguirre, que l’affaire McKinsey prendra de l’ampleur. La mise en lumière du scandale des Ehpad par l’enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, prouve une fois de plus que lorsqu’on y met les moyens, le livre fait encore événement.

La grande curation présidentielle

Vous n’aurez certes pas le temps de tout lire ni de tout voir avant dimanche, mais vous ne pourrez pas dire que Signaux Forts ne vous a pas mâché le travail.

📝 Dans la caisse à études

  • Les vagues successives de la grande enquête du Cevipof avec Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et Ipsos (dont la toute récente vague 9).
  • « Le dossier Le Pen : idéologie, image, électorat », une riche enquête par les experts de la Fondation Jean-Jaurès.
  • « 2022, présidentielle de crises », l’enquête de la Fondapol et ses principaux enseignements en 43 points, dont celui d’une « droitisation protestataire » de l’électorat.
  • « France 2022 – Naviguer en eaux troubles. » Le laboratoire d’idées Destin Commun se demande comment rassembler les Français, avec une méthode originale basée sur la psychologie sociale.
  • « Ma France 2022 », la grande consultation des Français par France Bleue et la plateforme citoyenne Make.org.
  • Le beer test de l’Ifop : avec quel candidat les Français aimeraient-ils boire une bière ? (Réponse : avec Jean Lassalle.)
  • Et le test du barbecue : même question avec un barbecue au camping (Réponse : toujours avec Jean Lassalle.)

👂 Les auditions thématiques de candidats

À l’heure où l’on dit les corps intermédiaires affaiblis, jamais les auditions de candidats par des groupes organisés n’auront pris une telle place dans une élection présidentielle.

  • « Nos territoires demain », les candidats auditionnés par les intercommunalités de France.
  • Territoires toujours avec les auditions organisées par Territoires Unis (AMF, régions, départements).
  • Dialogue social, économie et pouvoir d’achat au programme des auditions de la CFDT.
  • Économie encore avec les auditions du Medef.
  • Mal-logement : les auditions de la Fondation Abbé Pierre.
  • « Le Grand Oral » de la Mutualité française, la santé vue par les candidats.
  • « Les candidats face à la réalité des flics », les auditions du syndicat de la police nationale Alliance.

🗳️ Les autres petits liens de la campagne

  • Marine Le Pen peut-elle gagner l’élection ? Le directeur de recherche chez Ipsos Mathieu Gallard étudie l’hypothèse avec minutie, compilant données de sondages et d’études d’opinion (en résumé, c’est peu probable).
  • Le podcast du service politique de BFMTV, consacré aux coulisses de la campagne, si vous souhaitez rattraper plus de deux cents jours de campagne en un weekend.
  • Où va la gauche ? Pour le politologue Rémi Lefebvre, « la gauche ne sait plus qui elle représente ». Lire ses entretiens pour les sites de Libération, de Marianne et de Non Fiction.
  • Que pensent les jeunes femmes en milieu rural de la politique ? La chercheuse Yaëlle Amsellem-Mainguy en parle dans une vidéo.

Merci de votre lecture ! Des idées ? Recommandations ? Critiques ?
Écrivez-nous en répondant directement à ce mail. ­

 

Ceci peut aussi vous intéresser