Un mémo qui s’affranchit des genres éditoriaux. Tout d’abord, il y a cette forme innovante : un ouvrage de moins de cent pages, composé de courtes thèses numérotées de 1 à 76, avec une couv’ qui singe l’aspect d’une note de synthèse ou d’un rapport interne destiné aux lecteurs d’une organisation politique.
Signé Bruno Latour, philosophe et sociologue français de stature internationale en voie de gourouïsation, et Nikolaj Schultz, jeune sociologue danois qui écrit sur les classes géo-sociales, ce Mémo sur la nouvelle classe écologique a tout du petit livre (vert) bientôt culte. On l’imagine fort bien trôner sur les tables basses des membres de ladite classe écologique. L’essai veut être à la transition climatique ce que le Manifeste du parti communiste fut au capitalisme et à la question sociale. Il tente d’imposer un cadre politique nouveau pour l’ère post-croissance, celle de la préservation de l’habitabilité la planète et de la défense du vivant.
Faites-vous partie de la classe écologique ? De même que la bourgeoisie et le prolétariat s’étaient imposés comme catégories centrales de l’ère industrielle, les auteurs définissent les contours d’une nouvelle classe-pivot autour de laquelle la vie politique pourrait se réorganiser dans les années à venir. Pas plus que la révolution socialiste en son temps, la transition écologique ne sera un dîner de gala (au quinoa), préviennent les auteurs. « Loin d’unifier, la nature divise ». Il importe donc de tracer les lignes de front et de choisir son camp.
Feront partie de cette nouvelle classe dont il faut être les mouvements féministes et postcoloniaux, les peuples autochtones, les jeunes, une partie des scientifiques et des ingénieurs qui innovent en faveur de la transition, les métiers intellectuels mais aussi les religions, dans le sillage de la conversion écologiste du Pape François. Reste à définir qui s’opposera à cette classe écologique, et jouera en quelque sorte le mauvais rôle dans la nouvelle lutte des classes qu’annoncent les auteurs.
En complément du livre de Latour et Schultz. La classe écologique compte aussi des avant-gardes, tant souvent c’est dans les mouvements minoritaires (et parfois contestataires) que l’on lit le mieux les clivages de demain. Marc Lomazzi s’est donc employé à mettre sous éprouvette beaucoup des mouvements écologiques qui structurent aujourd’hui les « ultras verts », tendances et convictions plus ou moins iconoclastes, largement mis sur le devant de la scène par la campagne de Sandrine Rousseau lors de la primaire écologiste. Climato-activistes, zadistes, survivalistes, antitech, collapsologues…, quelle que soit l’opinion que l’on porte sur leurs approches (fond et forme), nul doute qu’ils nous parlent d’une société qui émerge, radicale, pétrie d’éco-anxiété et de plus en plus mobilisée autour du prisme écologique.
Bruno Latour et Nikolaj Schultz, Mémo sur la nouvelle classe écologique, La Découverte, janvier 2022.
Marc Lomazzi, Ultra Ecologicus, Les nouveaux croisés de l’écologie, Flammarion, janvier 2022.