Les municipales de 2020 resteront comme une élection particulièrement singulière dans l’histoire électorale. Singulière par l’effondrement de la participation lors du premier tour en raison de la peur du virus ; singulière parce jamais trois mois ne s’étaient écoulés entre deux tours d’une élection. Pour la première fois, les électeurs du second tour voteront avec une mémoire estompée du premier.
Ce contexte particulièrement inédit rend les pronostics électoraux sans doute encore plus incertains qu’habituellement. A trois jours du second tour, la participation reste très difficile à estimer tant elle est indexée sur une perception évolutive du virus. La progression du R0 dans quelques régions, le reconfinement de certains cantons en Allemagne sont autant d’éléments qui pourraient participer au retour de la peur et faire à nouveau déserter une large partie de l’électorat… A l’inverse, si les nouvelles sont perçues comme plutôt rassurantes, un petit sursaut par rapport au premier tour pourrait alors être possible… Cette participation, et tout particulièrement la mobilisation différentielle entre catégories d’âge, constitue une variable déterminante de l’élection. Quelques exemples : Edouard Philippe au Havre, Jean-Luc Moudenc à Toulouse, Gérard Collomb à Lyon sont très nettement battus par les listes de gauche sur le segment des moins de 50 ans mais l’emportent à l’inverse massivement chez les plus de 65 ans…On voit bien alors comment la sur-mobilisation d’une catégorie par rapport à l’autre peut changer le cours du scrutin.
Les incertitudes sont donc réelles et nombreuses. Pour autant, et malgré elles, se dégagent quand même quelques tendances d’interprétation pour ce second tour. L’ensemble des sondages réalisés depuis début juin dans une dizaine de grandes villes montre que généralement le rapport de force de premier tour se retrouve dans les intentions de vote de second. Ce qui permet, parti par parti, d’esquisser ce que pourrait être les grands enseignements du scrutin :
1) Le scrutin municipal devrait être une défaite sévère pour le parti présidentiel, qui ne peut espérer conquérir que Strasbourg, grâce à l’alliance avec LR et aux divisions de la gauche, mais qui est en passe de perdre deux villes qui paraissaient « imperdables », au vu des résultats de l’élection présidentielle et des élections européennes, Paris et Lyon.
2) Si la droite républicaine va conserver la très grande majorité de ses grandes et moyennes villes, elle est toutefois en difficultés à Marseille, à Toulouse, à Nancy et à Chambéry. La perte de Marseille, après 25 ans de règne sans partage, constituerait évidemment un revers d’ampleur. La droite devrait sauver Bordeaux, en partie grâce au maintien de Philippe Poutou et de ses 11% au second tour, et ne peut espérer au sein de villes de plus de 100 000 habitants qu’un gain, celui de Metz.
3) Ces élections pourraient constituer une forme de « divine surprise » pour la gauche, avec des résultats meilleurs qu’escomptés. Cela se jouera à quelques villes (Lyon, Toulouse, Marseille…) mais la prise d’au moins l’une d’entre elles sera perçu comme un succès pour une gauche et un encouragement à son unité. Le PS pourrait ainsi se refaire une (petite) santé, d’abord en conservant ses métropoles (Paris, Nantes, Rennes, seule Lille paraissant incertaine du fait de la concurrence des écologistes…), ensuite en reconquérant en son nom d’autres, sur la droite (Nancy) ou sur la gauche (Saint-Denis pourrait être reprise au PC, Montpellier au DVG Philippe Saurel).
4) Les plus grands gagnants devraient bien entendu être les écologistes qui pourraient ajouter Lyon, Marseille, Besançon et Toulouse à Grenoble dans leur escarcelle des villes de plus de 100 000 habitants. Un grand chelem dans toutes ces cités serait vu comme un énorme succès mais la prise d’une seule de ces villes, 2ème, 3ème et 4ème de France, suffira à faire de ces élections une réussite pour EELV. Une forme « d’écologisme municipal » pourrait ainsi naître à cette occasion, nourri et porté par un basculement d’opinion puissant (en témoignent toutes les enquêtes d’opinion comme les propositions de la convention citoyenne sur le climat….au moment où disparaît quasiment le communisme municipal. Si le PC a réussi à conserver Montreuil au premier tour, il devrait perdre sa deuxième ville de plus de 100 000 habitants, les sondages le donnant nettement battu à Saint-Denis, par le PS.
5) Enfin, la réussite ou l’échec du RN se jouera quasi-exclusivement à Perpignan. Si le RN a réussi à conserver la quasi-totalité de ses villes gagnées en 2014, s’il peut espérer quelques conquêtes mineures de petites ou moyennes villes dans le Nord, le Gard ou le Vaucluse, c’est bien dans son duel perpignanais avec le maire LR que se jouera l’interprétation de son élection. Une victoire offrirait une ville de plus de 100 000 habitants et une défaite du Front Républicain, sur lesquelles le RN pourrait facilement capitaliser. A l’inverse, une défaite soulignerait une nouvelle fois le plafond de verre du second tour et laisserait le RN avec un maigre bilan de conquêtes.
Samuel JEQUIER
Samuel JEQUIER
Directeur général adjointAgrégé de sciences sociales, Samuel Jequier a rejoint Bona fidé en 2021, et y dirige l’Institut, qui veille, analyse, produit et réalise des études qualitatives et quantitatives sur-mesure pour les clients de l’agence. Convaincu de la nécessité de comprendre la société et ses rapports de force, féru de politique et d’analyse des comportement électoraux, il flèche les mouvements, harponne les idées, mouline les tendances, ferre les changements. Et désarme l’ensemble des leurres.