François Mitterrand à l’Élysée, la Gauche espère. Qu’en reste-t-il 40 ans plus tard ? Tout le mois, Les Influences interrogent acteurs du moment et observateurs de toutes générations. Aujourd’hui : Robert Zarader, économiste, consultant en stratégies de communication, fondateur d’Equancy & Co, ancien conseiller de François Hollande raconte son espoir et son grand manque du 10 mai.

Chapitre I. L’ESPOIR

À00 h 00, le 10 mai 1981 a commencé comme tous les autres jours, partout dans le monde ! Mais pour moi, insomniaque patenté, j’essayais de chasser de ma nuit la défaite de Mitterrand. Installé au 14, rue Lapeyrère à Paris, locataire d’un immeuble peuplé de socialistes dans ce 18e arrondissement, j’avais l’étrange sensation que l’immeuble lui-même, au-delà de ses habitants, n’arrivait pas à trouver le sommeil. Levé tôt, je suis allé chercher le JDD, mais j’ignorais que la rédaction avait décalé la parution au dimanche soir après le résultat… Je n’étais pas électeur à Paris mais inscrit au Blanc-Mesnil en Seine-Saint-Denis où j’ai grandi, appris et vécu très longtemps.

J’y serai vers midi. Mes parents, et surtout mon père, patron d’une petite imprimerie, étaient très contents de m’y voir, car il m’avaient invité à un déjeuner professionnel et amical à la fois. Mes parents déjeunaient dans un restaurant particulièrement joli, dans un parc, sans doute vers Chantilly. Mon père avait convié son principal client, Monsieur Herbelin, cadre de haut niveau de la SNCF, et sa famille, devenue depuis quelques années bien plus que des clients, presque des amis, des amis tellement différents de mes parents. Ma présence est un peu symbolique de ce « 10 mai » pour eux : fier de la présence d’un fils, économiste et chercheur, un peu intello, c’était la réponse à un complexe, qui n’avait aucune raison d’être, celui d’une vie sans étude ni diplôme dans une Algérie en guerre permanente pour des juifs modestes, qui allaient élire, sans aucun doute pour eux, leur président de la République. Humanistes avant d’être un « tout petit peu » socialistes, ils voteront Mitterrand au retour de déjeuner. Comme moi ! La famille Herbelin était d’une formidable gentillesse et simplicité. Ils étaient avec leurs deux enfants et leur gendre… Le 10 mai 81, 13 heures, au déjeuner, il paraissait difficile de ne pas parler politique et élections. Mon père, plus libertaire que socialiste, ne m’avait donné aucune consigne de bienséance politique. Toujours plus inquiète, ma mère m’avait recommandé une certaine « retenue idéologique ».

En vrai, fondamentalement respectueux des idées de chacun, tolérants à l’extrême y compris vis-à-vis de tous les acteurs de la guerre d’Algérie – à l’exception de l’OAS et de Gaulle –, ils étaient très réservés dans la discussion politique. J’hésitais à parler politique tout de suite par « discipline filiale » quand le débat fut lancé. Je me souviens, au mot près, de l’échange avec la jeune fille Herbelin, sans aucun doute de la même génération que moi.

Elle : « Alors vous pensez quoi ? Mitterrand ? » Moi : « Je ne sais pas, je crains que les sondages n’envisagent pas “l’effet isoloir”. » Elle et son frère : « L’effet isoloir, non ! Mitterrand va gagner ! Il faut qu’il gagne ! », avec le sourire de leur mère en fond. Ouf, on a passé le reste du déjeuner à partager nos espoirs de liberté, de justice, voire quelques utopies post-adolescentes. Quatre ans avant Téléphone, on rêvait déjà d’un autre monde. Le déjeuner passa très vite, même s’il était déjà plus de 16 heures quand on quitta le restaurant… Retour rapide vers Blanc-Mesnil (mon père ne savait pas rouler lentement), arrêt à l’école Jules-Ferry, mon école primaire communale, notre bureau de vote. Mes parents et moi allons voter. Eux, respectant la règle civique et prenant les deux bulletins avant de passer par l’isoloir. Moi, un seul, bien sûr, ce que je continue toujours de faire par pure provocation infantile. Nous déposons ma mère à la maison au 51, rue Jacques Demolin, et mon père me dépose à la gare de Drancy. Cela m’a toujours amusé que, pendant des dizaines d’années, il n’y ait qu’une gare, celle de Drancy, et que tous les petits juifs du coin prenaient les trains de Drancy. Sans jeu de mots, je m’égare. Arrivée 18 heures, gare du Nord, le métro direction Jules-Joffrin et me voilà dans mon appartement. Un quart d’heure plus tard, la sonnerie : un voisin anxieux ? Non. Mon ami Bruno Loustalet, qui rentre de Saint-Étienne où il est allé voter. Bruno est économiste, comme moi, et on avait décidé de découvrir le résultat ensemble

Nous n’étions pas alors, comme je le serai ensuite pour toutes les élections dès 1988, dans les cercles « privilégiés » qui savent avant l’heure ! Même le 21 avril 2002, hélas… Devant Antenne 2 dès 19 heures, on guettait les visages des journalistes et des politologues en plateau qui apparaissaient au fil de l’écran pour chercher un signe. Mougeotte est souriant, mais Elkabach soucieux, donc nous plus souriants.

45 secondes avant 20 heures, les deux présentateurs engagent le compte à rebours. Elkabach se crispe de plus en plus. Le crâne et le front infographique apparaissent. C’est Mitterrand. L’immeuble se met à hurler de joie, le 18e arrondissement entonne L’Internationale. Les terres de la Commune tremblent, on entend même quelques Chant des Cerises.

Le 18e arrondissement devient un incroyable écho de fête. Une heure après, on est tous à la Bastille. Que d’embrassades et de filles que l’on a envie d’aimer ce soir-là. Que de roses achetées et offertes. 40 ans avant MeToo ! Le bonheur d’un moment. Je retrouve Juju et mes potes de Paris 13-Villetaneuse. Nous avions été le « maillon fort des luttes ». 00 h 00… Je ne sais pas quand le 10 mai 81 a fini, ou même d’ailleurs s’il a fini.

Merci Monsieur François Mitterrand, vous étiez UN PRÉSIDENT !

Moi j’ai besoin de croire en des femmes et des hommes d’État, et partager des débats qui enrichissent, tout simplement.

PUBLIÉ LE 14 MAI 2021 PAR LES INFLUENCES