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Abécédaire de la réconciliation

R comme Re-publique

Ah… re !

R comme Re-publique

 

Re-naissance. Ré-armer. Ré-industrialiser. Ré-concilier (puisqu’il faut bien commencer par balayer devant sa porte). Re-conquête. Et derrière tout cela, un seul et même mouvement d’ensemble : le re-cyclage. S’il est un domaine dans lequel l’économie circulaire s’est mise en place sans trop de difficultés, c’est sans doute dans le monde des idées. Le Re comme retour en arrière de tout ce qui a été cassé depuis des décennies ou comme nostalgie d’une France qui n’existera plus ?

 

 

Le ressassement, la répétition, la récidive sont les nouvelles modalités de l’existence politique. Le préfixe « re- » est le symptôme de la maladie de l’époque. Pendant que les industries culturelles grand public tournent à vide autour d’une poignée de licences et de personnages dont l’invention remonte à la première moitié du xxe siècle, celles et ceux qui nous gouvernent — dans le meilleur des cas — maintiennent l’imaginaire politique des années 1980, quand ils ne s’évertuent pas carrément à ranimer la France pompidolienne. « Re- », ou la litanie des jeunes vieux avant l’âge. La copie d’une copie d’une copie. Il est normal que les couleurs se délavent un peu plus à chaque tentative de ripolinage.

 

 

Au milieu de cette grande symphonie nostalgique, il est un mot qui subit un sort plus tragique que les autres : république. Ré-publique, tant qu’à verser dans les étymologies fantaisistes. Car il n’y a manifestement plus grand-monde parmi ceux qui se drapent dans la pourpre républicaine sur les plateaux des chaînes d’info ou dans les colonnes des hebdomadaires pour se souvenir du sens ancien de la res publica. République : signifiant évidé, surexploité, en un mot exsangue, insignifiant à force d’invectives et de postures étudiées, censé manifester les vertus prétendues des uns — les républicains — et les vices supposés des autres (tous les autres) ?

 

 

Qu’est-ce que la république au mitan des années 2020 ? Une grande idée systématiquement abordée par le petit bout de la lorgnette. Misère de la philosophie politique contemporaine : on ne connaît la république que par ses manifestations périphériques et contingentes. Florilège des idées reçues qui colonisent l’esprit du temps.

 

 

Ordre républicain : pléonasme. La république, c’est l’ordre, et l’ordre, c’est la république. Regard d’acier, mâchoires serrées, veine temporale qui palpite. La république, c’est la laïcité, d’ailleurs, la première République n’a-t-elle pas été promulguée en 1905 ? La république, c’est le royaume de l’universel sur terre (ah ! le temps béni des colonies !).

Au milieu de cette grande symphonie nostalgique, il est un mot qui subit un sort plus tragique que les autres : république.

Mais surtout, la république, ce sont de bonnes manières, une certaine élégance à la française. Sans l’invention du costume bleu marine cintré et de la cravate noire, la république aurait été impossible. Troquez la chemise noire pour un complet Hugo Boss, et vous voilà sacrés républicains. La république, finalement, c’est assez simple.

Outil au service du commun, instrument pour refaire société, objet pour réconcilier… et si c’était ça, la république ?

Nous voilà donc réduits à fantasmer un passé mythique, comme les Romains du temps de l’Empire qui évoquaient en boucle leurs glorieux ancêtres, vertueux, austères… et républicains, forcément. Comme quoi, la nostalgie est une vieille histoire. Et le voilà, le fond du problème : la république, dès lors qu’elle cesse d’être un horizon pour n’être plus qu’un totem passéiste auquel on s’accroche désespérément, se disloque, dans l’idée et dans les faits. Dès lors, qu’est-ce que la république ?

 

La république est un idéal, une idée qui nous grandit. Un cadre pour émanciper chacun et assurer nos précieuses libertés. Maternelle et louve romaine, celle qui d’une main protège et de l’autre sanctionne, cette gardienne- là est à l’horizon. Un horizon qui, lorsque « Je fais deux pas en avant, s’éloigne de deux pas. Je fais dix pas de plus, l’horizon s’éloigne de dix pas » (Eduardo Galeano). Un horizon nourrit aussi du fantasme que nous plaçons dans la figure de l’État. Mais peut-être que cet idéal n’est pas si loin. Outil au service du commun, instrument pour refaire société, objet pour réconcilier… et si c’était ça, la république ?

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Publié le 1/07/2024

Arthur DE GRAVE

Essayiste

Arthur De Grave est l'auteur de Start-Up Nation Overdose Bullshit (Rue de l'échiquier, 2019). Il anime le podcast « Vous avez aimé, vous aimerez peut-être ».

Tags : Abécédaire Post