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La fatigue, plus que jamais, fait la Une. « La fatigue des pharmaciens »[1] « La grande fatigue du secteur de l’événementiel »[2] « Comment le Covid-19 a propagé la fatigue »[3] « la grosse fatigue des familles »[4]. La fatigue devient sociale : elle envahit les êtres autant que l’espace public.

Selon une enquête Ipsos, 17 % des Français.es placent la fatigue comme le sentiment qualifiant le plus leur état d’esprit en 2021. Sentiment qui se place devant l’incertitude et l’inquiétude (15 %), devant la sérénité (8 %) et le bien-être (7,5 %). La fondation Jean Jaurès a publié un essai éclairant, co-écrit par un comité de chercheurs en sciences sociales, sur les différentes facettes de cette fatigue psychologique et sociale.

Symptôme le plus visible des vagues successives d’une pandémie qui n’en finit pas, la fatigue est la face émergée d’un iceberg d’incertitude et de lassitude. Mais l’incertitude n’est pas nouvelle, la pandémie n’a fait que renforcer des phénomènes sociaux plus ou moins silencieux, d’une société enchaînée par ses crises économiques, sociales, climatiques et maintenant pandémiques.

Si la fatigue est un phénomène physiologique et personnel, défini comme une « diminution des forces de l’organisme, généralement provoquée par un travail excessif ou trop prolongé, ou liée à un état fonctionnel défectueux »[5], l’historien Patrick Boucheron nous rappelle qu’ « on ne doit pas pour autant perdre de vue le fait qu’en psychologisant le social, on risque toujours de le dépolitiser. D’où la nécessité de donner une forme politique à la plainte d’une société fatiguée. » Plus que jamais, la fatigue doit être appréhendée comme un problème politique et systémique.

« Dire d’une société qu’elle est fatiguée revient à faire le constat de sa vulnérabilité, mais aussi de sa docilité » (Patrick Boucheron), c’est par vigilance et conscience politique que nous devons prêter attention à la plainte d’une société fatiguée.

Il n’est pas malvenu d’établir le constat qu’une société toujours plus et continuellement fatiguée est invivable. Pour Pierre-Yves Geoffard, « le risque est réel [que cette fatigue] se transforme en épuisement, et que cet épuisement paralyse toute envie d’agir au point qu’elle nous rende insensibles au monde. » Peut-être est-ce là le signe qu’il devient impératif de se saisir collectivement du problème avec sérieux et honnêteté.

Si même le président de la République pose son diagnostic : « On sent une fatigue »[6], cette campagne présidentielle, la première postpandémie, pourrait être une occasion pour les acteurs politiques et les politiques publiques de s’en saisir. « Ce passage de l’individuel au collectif suggère que la fatigue est amenée à jouer un nouveau rôle dans notre société : non plus un phénomène touchant la personne dans son intimité et sa singularité, mais bien davantage un des leviers de la revendication sociale » observe le psychiatre Serge Hefez.

Si la société est fatiguée, c’est peut-être aussi parce que l’Etat l’est. Exténué l’hôpital. Ereintée l’Education Nationale. Usée la police. Nombreux sont les fonctionnaires, les soignants, les professeurs, les forces de l’ordre, les magistrats à être fatigués de ne pas être entendus ni pris en considération dans leurs singularités plurielles. Un Etat qui craque, c’est moins de fluidité et plus de difficultés dans la vie quotidienne, c’est moins de cohésion et plus de tensions et c’est in fine une source de fatigue et de pessimisme collectifs. Pour autant, si la fatigue est socialisée, l’espoir demeure, car les Français.es continuent de se dire, dans leur grande majorité, heureux individuellement. Sortir le pays de l’épuisement et redonner de l’énergie collective au pays, tel est bien le défi qui attend le prochain président de la République.

 

[1] Aisne : la fatigue des pharmaciens face au pic de la cinquième vague de covid-19, L’Union

[2] La grande fatigue du secteur de l’événementiel face au « stop and go », Le Parisien

[3] Comment le Covid-19 a propagé la fatigue psychologique « au fil du temps et des confinements », Le Monde

[4] Face à la crise sanitaire, la grosse fatigue des familles, France Info

[5] Définition CNRTL

[6] « On sent une fatigue » : en pleine campagne, Emmanuel Macron pose son diagnostic, La Croix