Jeff Bezos, Bill Gates et Xavier Niel ont plusieurs choses en commun : ils sont milliardaires, ont fait fortune grâce aux nouvelles technologies et à l’esquive fiscale et désormais, ils veulent sauver la terre. A quelques semaines d’intervalle, le premier a quitté la direction opérationnelle d’Amazon pour se consacrer à son « Bezos earth fund » doté de dix milliards $, le second publie un livre au titre peu modeste « climat : comment éviter un désastre. Les solutions actuelles, les innovations nécessaires » (Flammarion) et le troisième annonce l’ouverture en septembre d’Hectar, une école gratuite sur le modèle de son école informatique 42, qui formera 2 000 agriculteurs.

Il ne peut y avoir de bataille plus importante que celle contre le dérèglement climatique, puisque sa perte condamne l’existence même des futures générations humaines sur cette planète. La gravité de l’érosion du vivant et de l’épuisement des ressources naturelles, des sols et des cours d’eau notamment, mais aussi la déforestation, sont si graves que toutes les bonnes volontés et les moyens sont évidemment bons à prendre. Pourtant, s’il est vraiment un trio qui devrait se taire sur le sujet, c’est bien celui-là.

 De même que se doter d’une direction de la RSE ne peut compenser toutes les actions irresponsables de l’entreprise, faire des dons en faveur d’opérations protectrices du climat n’efface pas la lourde ardoise climatique accumulée par ces chefs d’entreprises. Selon l’ONG Climate Watch, la pieuvre Amazon est responsable à elle seule d’environ 10% des émissions de CO2 en France (et sans doute plus aux États-Unis) avec le développement de produits et de solutions parfaitement superfétatoires et de plus en plus : des millions de déplacements supplémentaires, d’emballages inutiles et désormais de vols de drones pour livrer des produits en un temps record et enfin, jusqu’à 2020 et la mobilisation puissante de médias et d’ONG, Amazon brûlait purement et simplement ses invendus (pour faire de la place dans les entrepôts), soit plus de 3 millions d’objets pour la seule année 2018[1]… Le plus beau geste que Bezos pourrait faire pour sauver la terre est assez simple, en fait : fermer Amazon. Au lieu de quoi, ce techno solutionniste fou qui a pollué et réchauffé l’atmosphère comme personne en ce début de XXIeme siècle envisage d’aller produire de l’énergie sur Mars, bien conscient que celles sur terre seront bientôt épuisées. Il déclarait ainsi dans une conférence en 2016 pour le site Re/Code, « Je vous l’assure, nous avons la meilleure planète. Nous devons la protéger, et le meilleur moyen de le faire est d’aller dans l’espace ». « Vous ne voulez pas vivre dans un monde contraint à l’immobilisme où nous devons geler la croissance de la population. ». Sans présager de l’utilisation des fonds pour la planète de Bezos, rien ne pourra réparer tout ce qu’il a détruit et tout ce qu’il détruit encore aujourd’hui avec son modèle extractiviste.

Gates, lui, cumule les problèmes. D’abord quand bien même il vante son « sustainable jet », il n’empêche que ses déplacements privés seuls sont une hérésie (1629 tonnes d’émissions de CO2 en 2017, selon l’estimation du site Bon Pote). Et Microsoft a englouti une quantité de terres rares astronomiques pour produire ses gadgets. Ensuite, son action philanthropique elle-même pose souci comme l’ont remarquablement montré deux livres (non attaqués en justice et le monsieur est procédurier, donc des opus fiables) : La fondation Gates ou l’art de la fausse générosité (Actes Sud) du journaliste Lionel Astruc et plus encore l’activiste indienne Vandana Shiva dans 1%, reprendre le pouvoir face à la toute-puissance des riches (Éditions rue de l’Échiquier). Dans ces livres, on voit notamment que l’Alliance pour une révolution verte en Afrique, l’entité agricole de la fondation Bill et Melinda Gates, promeut des semences OGM et condamnant l’agroécologie. D’ailleurs, là où la fondation Gates passe, les ventes de produits phytosanitaires augmentent de 85% et ces produits sont propriété, pour 70% d’entre eux, de Bayer Monsanto, l’horrible firme au Round Up… Le directeur de l’entité agricole de la fondation, Rob Horsch, est un ancien cadre dirigeant de Monsanto. Coïncidence ? Comme disait John Mc Enroe : you cannot be serious.

Xavier Niel s’est beaucoup investi dans le développement de la 5G, non-sens écologique comme le rappelaient tous les scientifiques et la Convention Citoyenne pour le Climat et donc pour se racheter de ses péchés, il forme les agriculteurs de demain. L’école n’étant pas ouverte, ne dressons pas de procès d’intention. Mais alors que la France compte un grand nombre de labos d’exception (l’INRA, le CIRAD…), Niel décide de confier la direction de l’école à Audrey Bourolleau, ex lobbyiste du vin et conseillère agriculture d’Emmanuel Macron de 2017 à 2019. L’influence précède les semences et ça n’annonce pas précisément des moissons responsables…

« La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent », écrivait Einstein. Perpétuer les erreurs écocidaires de ces entreprises au travers des bonnes causes et prétendre sauver le climat a tout des atours, a minima,  d’une névrose grave de ces trois hommes. Je n’ai pas les talents de Philippe Dayan, le psy de la France entière depuis que nous sommes toutes et tous, En Thérapie[2], pour établir un diagnostic plus définitif. Mais à regarder du côté de la mythologie grecque, on se dit que les philanthropes sont victimes d’hubris, cette propension à se croire tout puissant. Chez les grecs, ce péché était sévèrement puni par la Némésis qui voyait l’outrecuidant être rétréci pour lui rappeler qu’il ne fallait pas franchir certaines limites… Nous n’en sommes plus là mais, camarades philanthropes prétendant sauver le climat, c’est la charité qui se fout de l’hôpital ; alors un peu moins d’hubris et un peu plus d’humus. Merci !

Vincent EDIN

[1] Lire à ce propos https://www.novethic.fr/actualite/environnement/economie-circulaire/isr-rse/sous-pression-amazon-annonce-donner-ses-invendus-au-lieu-de-les-detruire-147982.html

[2] https://11mai2020.co/tous-en-therapie-les-francais-face-au-fait-divers/