En 1997, Jeremy Rifkin annonçait la fin du travail dans un ouvrage éponyme devenu un classique de socio-économie. Il anticipait notamment la transformation des modes de production à l’aune du XXIème siècle, sous l’influence croisée du numérique, de la robotique et de l’intelligence artificielle.
À la faveur du confinement, Emmanuelle Léon, directrice scientifique de la chaire Reinventing work de l’ESCP, s’interrogeait dans Slate sur les mutations de l’espace et du temps de travail. Jean-Marie Harribey, maître de conférences d’économie à l’université Bordeaux-IV, scrute les mutations du capitalisme dans Alternatives Économiques à l’aune de la production de valeur d’une société de services.
Ces analyses nous conduisent à revisiter le concept de travail tel qu’il est véhiculé par le capitalisme contemporain. Jusqu’à présent, il était caractérisé par une unité de temps de plus en plus circonscrite (la journée de 8 heures consécutives avec une pause méridienne, la semaine de 35 heures par exemple), une forte unité de lieu (on travaille au bureau, au cabinet, à l’usine, à l’agence, à l’école…) en nécessaire association avec une unité d’action, l’activité professionnelle n’existant véritablement que dans la conjonction de cet espace-temps.
Le télétravail, tel qu’il a été massivement expérimenté pendant la crise du covid-19, a bien sûr transformé l’unité de lieu, mais elle a conduit à réévaluer aussi le carcan de l’unité de temps, pour le meilleur (rythmes plus flexibles et plus choisis, modulation individuelle des temps de pause, meilleure liberté d’organisation et donc de responsabilisation des travailleurs, réintroduction d’une part d’intimité visuelle, acoustique et verbale depuis son domicile), mais aussi pour le pire (perméabilité de la frontière entre vie privée et vie professionnelle, augmentation du risque de burn out par surexposition aux sollicitations en dehors des heures ouvrables). Parallèlement, c’est aussi notre rapport à l’entreprise qui a changé, avec l’apparition d’un mode de management plus fonctionnel, moins de proximité, plus d’autonomie et moins de convivialité.
Pour autant, la crise sanitaire ne signe en rien la fin du travail, comme en témoignent les premières analyses du Labo Société Numérique du gouvernement. Bien au contraire, elle amorce une valorisation supplémentaire des services à la personne, dont l’utilité sociale a été éclatante pendant le confinement, une mise à niveau des compétences numériques des salariés, et une transformation du rapport à la productivité. Deux exemples : il est désormais possible de faire ses courses en ligne pendant une réunion ennuyeuse sans risquer d’être dérangé par son voisin, ce qui supprime tout un pan de l’ennui au travail. La similitude des mécanismes d’aide publique accordés aux salariés, aux particuliers employeurs ou aux travailleurs indépendants a contribué à effacer la distinction entre salariés et indépendants, avec pour conséquence une interrogation accrue sur les facteurs de risque et les leviers de motivation de nos choix professionnels.
Nombreux sont ceux qui ont profité du confinement pour reprendre des loisirs, réfléchir au sens de leur activité professionnelle et partager leurs passions sur les réseaux sociaux. Le développement des podcasts individualisés, l’essor du fait-main, la recherche couplée d’indépendance et d’engagement, sont annonciateurs d’une revalorisation du savoir-faire personnel et passionné. En réponse à la gig economy, ou économie des petits boulots associée à l’ubérisation des activités, à l’intermédiation des plateformes et à l’interchangeabilité des tâches, assiste-t-on à l’avènement de la passion economy, une création de valeur générée par des amateurs éclairés, des prosumers en pyjama et des acteurs individuels aussi talentueux que motivés ?
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Raphaëlle COLOGON
Raphaelle COLOGON
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