LE TILT
SI VOUS AIMEZ LA RSE, VOUS ALLEZ ADORER LA RTE !
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Avec les prix de l’immobilier, la mise en cause de la psychanalyse et les métamorphoses du couple, la réforme de l’entreprise est l’un des grands marronniers de la presse magazine, typique de ces sujets qui reviennent sans cesse sans qu’on ait l’impression qu’ils aient bougé d’un poil. Pourtant, sur ce sujet, les attentes sont aussi fortes que précises.
À force de tant changer sans jamais se modifier, l’entreprise et tous ceux qui la font ne vont-ils pas plonger dans la schizophrénie ? Faut-il vraiment que tout change pour que rien ne change ? Eh bien non. Au milieu de la raison d’être, de l’entreprise engagée et à mission, de l’économie positive ou de la mesure d’impact (toutes hautement respectables) émerge un concept neuf et qui mérite vraiment le détour.
Faites donc une place dans votre armoire à concepts à la toute neuve RTE !
De quoi parle-t-on ? Pas du gestionnaire du réseau de transport d’électricité, mais bien de la responsabilité territoriale de l’entreprise. Un avis de la plateforme RSE de France Stratégie, un livre de Maryline Filippi pour la Chaire TerrESS de Sciences Po Bordeaux, un rapport dirigé par Timothée Duverger pour Impact Tank, et c’est un nouveau concept qui entre dans la famille, déjà passablement large, des approches qui ambitionnent de changer l’entreprise.
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Tous droits réservés
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Ne faut-il y voir qu’un effet de mode ? Peut-on réellement envisager une entreprise qui préserve ses bénéfices en même temps qu’elle améliore ses externalités positives, tant sur la société que sur l’environnement ? À la croisée exacte de deux des tendances les plus puissantes de notre époque, la recherche de sens (individuelle et collective) et le « tournant local », à savoir la réintégration pleine et entière de la dimension locale dans de nombreux domaines, la RTE peut s’appuyer sur ces deux tectoniques sociétales pour constituer une alternative différente, aussi ancrée dans le local qu’elle bénéficie des dynamiques du global.
Avec la RTE, une entreprise n’est plus « en » Creuse mais « de » Creuse. Sans rien perdre de ses atouts plus larges (nationaux et/ou internationaux), elle les articule pleinement avec les forces vives des territoires dans lesquels elle s’inscrit, créant des coopérations locales qui peuvent changer le paradigme. L’entreprise n’est plus une entité individuelle dans un marché atomisé, elle s’inscrit dans un mode d’entreprendre en collectif et en responsabilité, pour le bien commun. C’est un processus profond et transformateur, pas un nouveau label.
En réencastrant l’entreprise dans son territoire, la RTE l’insère dans des coopérations (notion elle-même en pleine réinvention) fructueuses avec les acteurs privés comme publics. Dans une approche résolument démocratique, elle permet l’expérimentation de nouveaux modes de participation et de résolution de problèmes. Dessinant un acteur 100% collectif, soucieux d’abord de sa responsabilité envers l’humain et le vivant, la RTE peut projeter un nouvel imaginaire dans lequel l’entreprise n’est plus un problème mais devient une solution.
Un rêve ? Il n’y a rien à perdre à aller voir.
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L’OBJET
LE TUBE DE L’ÉTÉ EST UN SCALPEL
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À ne s’en tenir qu’au strict plan éditorial, notre dernier été avait des odeurs de mort.
Caracolant durant plusieurs semaines en tête des ventes d’essais avec pas moins de trois livres aux trois premières places du classement Livres hebdo, le médecin légiste et criminologue liégeois Philippe Boxho régalait des dizaines de milliers de lecteurs avec « La mort en face », « Les morts ont la parole » (un effet de la mode participative ?) et même un prometteur « Entretien avec un cadavre ». Sur ce point au moins l’été indien est bien là puisque ces trois livres sont encore, au dernier pointage, 3e, 4e et 5e du même classement. La mort dure longtemps.
Faut-il voir dans ce succès l’une des tendances que notre époque ? Si l’on en croit les articles parus sur le phénomène (l’auteur et les ventes), on serait plutôt dans le divertissement, les histoires à sensation et le goût du spectaculaire (mâtiné d’un brin d’horrifique) que dans la mort comme clé de lecture de nos sociétés en pleine finitude (climatique notamment). Pour faire une référence qui plaira aux plus boomers de nos lecteurs, plutôt Bellemare que Bourdieu s’il faut bâtir cette (sombre) église sur un Pierre.
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Pourtant des signaux faibles existent bien dans cette inattendue saga pleine de morgues. D’abord le déclic du phénomène, directement venu des réseaux sociaux (des vidéos du youtubeur Guillaume Pley, sur sa chaine « Legend ») avant de se transformer en tournée des p(l)ages. Ensuite le fait que ce sont les lecteurs qui ont fait le succès de cet auteur, avant que les médias ne viennent démultiplier cette audience (ayant émergé de la même façon, Valérie Perrin est largement en tête des ventes de fictions avec « Tata »).
L’attrait séculaire et qui ne se dément pas pour les faits divers (a-t-on assez noté que cet intérêt est l’une des rares constantes à franchir les époques ?) est une troisième tendance sous-jacente. Enfin, cette macabre promenade estivale s’inscrit dans un mouvement de fort regain de la littérature horrifique, déjà très fort dans les pays anglo-saxons mais qui touche à présent nos rivages. Et comme le nouvel icône télévisuel de notre époque, à savoir les séries, ne rechigne pas à lorgner du côté de l’horrible, du macabre et du mortel, on peut presque affirmer que le succès de Philippe Boxho n’est qu’un rattrapage, une façon pour le livre de se raccrocher à l’horrifique qui monte.
Quel nouveau secteur va-t-il demain être touché ? À vos pronostics.
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L’INTERVIEW
NOÉMIE AUBRON
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Noémie AUBRON est prospectiviste. À force de lire sa newsletter Futurs (à retrouver ici), qui explore les questions de prospective et de design fiction depuis 6 ans, nous avions forcément envie de la rencontrer et de lui poser plein de questions ! C’est fait.
Qu’est-ce que le design fiction ? Comment expliquez-vous son succès, vos plus de 7 000 abonnés en témoignent ?
Le design fiction est un outil de médiation pour ouvrir des questions stratégiques sur le futur qu’on ne se serait pas posées autrement. En envisageant des services, des produits, des métiers, des lieux du futur, le design fiction aide à concrétiser les conséquences possibles du changement dans son environnement direct. C’est ce que j’explore depuis 6 ans dans ma newsletter qui a trouvé son public dans sa lente récurrence et grâce à la période actuelle qui s’intéresse de plus en plus aux enjeux de prospective.
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Noémie Aubron
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À partir de quel matériau travaillez-vous ? Comment construisez-vous vos projections du futur ?
Ma zone d’observation, c’est l’évolution des modes de vie : ce qui est en train de changer dans la manière d’habiter, de consommer, de se déplacer, de se divertir, etc. car une projection repose à 80 % sur un travail analytique qu’on ne perçoit pas toujours directement. C’est pour ça que j’essaye de proposer des ressources à la fin de mes newsletters, que je suis abonnée à plus de 200 newsletters et que je regarde aussi les points de vue de personnes connexes qui m’amènent des manières différentes de penser.
Comme j’ai du mal à travailler sur du spéculatif ou de l’utopique, je travaille plutôt sur ce qui devient tangible, ce qui est en train de changer autour de nous. La différence entre la veille et l’analyse prospective, c’est quand on émet un point de vue sur le changement quand on se force à prendre le risque de l’hypothèse sur quelque chose qui est en train de se passer et qu’on ne comprend pas encore bien. C’est ça qui m’intéresse.
Pensez-vous que la prospective modifie la posture et la stratégie des dirigeants ? Et notre manière de les accompagner ?
De plus en plus de dirigeants commencent ou ont commencé à engager des transitions très fortes dans leur modèle. Il y a ce nouveau sujet de savoir comment on fait pour piloter autrement une stratégie, pour s’ouvrir à autre chose qu’une vision linéaire du futur. Les postures des dirigeants sont contraintes d’être réinventées.
C’est là où je vois un lien entre mon activité et la vôtre chez Bona fidé : sur les narratifs, dans la manière dont on se raconte. Il y a cette question de savoir comment on peut aller explorer des récits émergents qui ont le potentiel de devenir demain des récits conducteurs.
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LES IDÉES ANTI PRÊT-À-PENSER®
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À bas le pouvoir d’achat !
Tous les élus quel que soit leur bord politique se battent pour lui ! Un tel unanimisme autour du pouvoir devrait nous inquiéter et nous inciter à y regarder à deux fois.
C’est justement ce que propose Benoît Heilbrunn, philosophe et professeur à l’ESCP. Dans ce court essai cinglant, il déconstruit pièce à pièce cette notion consensuelle et rhétorique de « pouvoir d’achat » mettant à jour son caractère illusoire mais aussi sa charge toxique par la vision de la consommation qu’elle sous-tend.
Ce que nous cache le mythe du pouvoir d’achat, Benoît Heilbrunn (Éditions de l’Aube)
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Comment être sûr de couler une grande entreprise ?
Geoff Colvin livre la recette dans le magazine Fortune. Elle est simple : il faut non pas 1, non pas 2, non pas pas 3 mais bien 4 mauvais CEO à la suite. Une règle empiriquement prouvée à travers les exemples d’Intel, de Sears et de Westinghouse et le contre-exemple d’Apple (qui s’est arrêté à 3). Mais pourquoi diable en faut-il 4 ? Un seul qui s’y prendrait bien ne suffirait-il pas ? Eh bien non, et c’est parfaitement expliqué dans l’article. (Spoiler : c’est la faute au CA)
Intel is the latest Fortune 500 giant to test the ‘4 wrong CEOs’ rule, Geoff Colvin – Fortune 10/08/2024
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Et si nous étions désinformés sur la désinformation ?
Dans un article stimulant du Financial Times, Tim Harford montre que l’idée courante d’une désinformation intégrale sur les réseaux sociaux est largement surestimée. Il l’évalue, en s’appuyant sur des études convergentes, aux alentours de 6% des contenus en ligne, bien loin de la catastrophe annoncée par certains. C’est toujours trop bien sûr. Mais Harford souligne que le catastrophisme en la matière peut se révéler pire que le mal.
Misinformed about misinformation, Tim Harford. Financial Times 30/08/2024
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L’envie d’amis
Le média Chartr révèle en 4 graphiques (ci-dessus) une réalité insoupçonnée outre-Atlantique : les américains sont en manque…d’amis ! À travers des tendances de recherche Google depuis 2009, on découvre une forte augmentation des requêtes « comment rencontrer de nouvelles personnes ? », « où se faire des amis ? » ou encore « je me sens seul ». Au-delà de leur progression, l’ensemble de ces recherches ont un point commun : elles ont connu une forte augmentation depuis les périodes de confinement, tout en restant à un niveau élevé depuis.
Si la quête d’amitiés et de rencontres soulève l’idée d’un retour du réel sur le virtuel, les choses ne sont pas si simples. Le Figaro revenait il y a deux semaines sur l’ouverture des applications de « dating » vers les rencontres… amicales ! Bumble, Meetic ou Tinder y verraient là un relais de croissance après une baisse de leurs fréquentations post-pandémie. Les observateurs restent néanmoins dubitatifs sur le modèle économique de ces nouveautés et in fine sur leur capacité à générer des rencontres dans le monde réel.
Entre la tentation d’un marathon de séries sous sa couette et une sortie improvisée, avec tout l’imprévu qui va avec, le choix n’est pas si simple. Le livre de Bertrand COCHARD nous aidera peut-être à trancher la question…
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Vide à la demande, Bertrand Cochard
Dans Vide à la demande (L’Échappée, avril 2024), Bertrand Cochard décide de faire un sort à l’idée que les séries puissent avoir un quelconque potentiel émancipateur. À rebours de la philosophe Sandra Laugier, qui voyait dans celles-ci un formidable espace de critique sociale, cet agrégé de philosophie fortement influencé par la pensée de Guy Debord défend une tout autre thèse : ces récits, sous leurs airs anodins, constitueraient des outils d’aliénation d’une efficacité redoutable. Epousant parfaitement la temporalité effrénée du capitalisme néolibéral, les séries scanderaient et marchanderaient notre temps libre, nous entraînant dans un cycle de consommation passive qui altèrerait notre capacité à développer un esprit critique – voire l’endormirait complètement en saturant notre imaginaire de récits parfaitement consensuels. Plutôt que de subvertir l’ordre social, elles agiraient donc comme des instruments idéologiques au service du statu quo. Un peu radical, mais rafraîchissant !
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Le château de mes sœurs, Blanche Leridon
En partant d’un vide sémantique pour le moins troublant – l’absence de mot pour désigner une fratrie exclusivement composée de filles ! – Blanche Leridon, dans Le Château de mes sœurs (Les Pérégrines, août 2024), offre enfin aux liens entre sœurs, longtemps invisibilisés dans une société obsédée par la transmission masculine, un espace où être pensés. De Venus et Serena Williams aux sœurs Beauvoir, en passant par les icônes de la pop culture, l’essayiste dresse un tableau à la fois intime et politique de cet immense impensé collectif, éclairant d’un jour nouveau cette solidarité (et non rivalité!) féminine si particulière. Ce faisant, elle esquisse des pistes pour que cette relation précieuse et singulière devienne un véritable levier d’émancipation et de subversion des rôles traditionnels – mère, épouse, amante – que la société continue d’assigner aux femmes.
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L’OEIL DU DOCTEUR JEQUIER
LES FRANCAIS PRÉFÈRENT LE SAVANT ET BOUDENT LE POLITIQUE
« On n’arrête pas le progrès… » Le dicton populaire est aujourd’hui à l’épreuve des représentations des Français. C’est ce que révèle l’enquête de l’Institut Bona fidé pour la Banque Publique d’Investissement (Bpifrance), réalisée à l’occasion de la dixième édition de BIG. Plus de deux tiers des Français considèrent en effet que le progrès social, économique et démocratique est en stagnation ou recul en France ces dernières décennies. Seule la dynamique du progrès technique et scientifique (63% des Français le jugent en croissance) suscite encore des représentations majoritairement positives. Une forme de résumé de l’époque : les Français préfèrent le savant au politique. Accéder à l’étude.
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