Le 6 janvier 2022, Valérie Pécresse, en déplacement dans le Sud de la France, déclare aux micros de nombreux journalistes : « il faut ressortir le Kärcher, il a été remisé à la cave par François Hollande et Emmanuel Macron depuis. Aujourd’hui, il est temps de nettoyer les quartiers ».
Les mots ne sont pas choisis au hasard, ils ressuscitent Nicolas Sarkozy qui, en 2005 à La Courneuve, déjà sous le regard d’une foule de journalistes, déclarait qu’il fallait « nettoyer au Kärcher la cité des 4 000 ». Dans l’air chaud de ce soir d’été, où l’on devine l’envie d’en découdre par la force légitime ou la révolte après la mort d’un garçon de 11 ans touché par une balle perdue alors qu’il rentrait chez lui, le ministre de l’Intérieur martelait : « le terme nettoyer au Kärcher est un terme qui s’impose, parce qu’il faut nettoyer ».
L’image du nettoyeur jaune qui décape tout ce qu’il touche d’un jet d’eau sous haute-pression terriblement puissant, et la façon dont cette image est utilisée avec facilité, comme une évidence, laissant d’ailleurs perplexes les jeunes hommes présents, « on ne nettoie pas les gens au kärcher » souligne l’un deux, est devenue emblématique du style de Nicolas Sarkozy : direct, rude, brutal. De quoi inspirer Valérie Pécresse de reprendre telle quelle cette punch line, pourtant, à l’époque déjà, très controversée.
Mais c’était sans compter la réaction de Kärcher, la marque allemande du nettoyeur jaune, qui n’a pas accepté que son nom soit, une fois de plus, détourné à des fins politiques. En 2010, Fadela Amara, secrétaire d’Etat de Nicolas Sarkozy, avait elle aussi repris l’expression. Dans un communiqué de presse du 11 janvier, l’entreprise réagit : « Kärcher demande aux personnalités politiques et aux médias de cesser immédiatement tout usage de sa marque dans la sphère politique, qui porte atteinte à sa marque et aux valeurs de l’entreprise ».
Alors que Kärcher était devenu pour la plupart d’entre nous un générique, comme Bic, Frigo, Sopalin, par antonomase, cette figure de style qui érige un nom propre en nom commun, souvent sous l’effet de l’usage, l’entreprise crie son existence.
Elle déplore « la méconnaissance par certaines personnalités politiques du respect de ses droits ».
Refusant d’être à nouveau au centre d’une polémique qui ne la concerne pas, Kärcher se purifie des salissures politiques, des petites phrases, des formules, des mots sans nuance qui sont délibérément employés pour marquer les esprits et générer du clash.
Kärcher clarifie la situation et rappelle à l’ordre la candidate LR, et par extension, l’ensemble des responsables politiques, dans un geste qui, l’air de rien, est éminemment politique.
Un rapide passage sur Twitter permet ensuite de prendre la mesure du poids de l’image et l’on comprend encore mieux l’agacement contre le mauvais usage de la marque. Tantôt solution politique idéale, tantôt symbole ultime de la violence d’Etat, chacun y projette ses convictions.
Or, non. Le Kärcher, nous rappelle-t-on, n’est pas un programme politique.
Ce ne sont donc pas les quartiers qu’il faut nettoyer, mais le langage.