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« Il est impératif de profiter de la période qui vient pour débattre, à toutes les échelles »

Considérer une épidémie mondiale comme une chance est une caractéristique d’une crise inédite.

Considérer une épidémie mondiale comme une chance est certainement l’une des caractéristiques les plus saillantes d’une crise elle-même inédite. On assiste à une concorde spectaculaire de l’opinion qui arriverait presque à définir un nouveau monde de biens communs et d’aspirations convergentes.

 

Gare, en réalité, au trompe-l’œil grandeur nature. Le temps de la concorde est un temps d’illusions qui doit rapidement laisser place à une nouvelle étape de « discorde », vertueuse, saine, un temps de conversations et controverses qui portent ses fruits en allant au fond des débats ouverts par cette crise singulière.

 

La vie confinée est devenue une expérience à la fois intime et commune, un vécu qui, parce qu’il a été largement partagé, a fait converger les représentations du monde, transcendant les appartenances partisanes et sociales.

 

Huit Français sur dix se prononcent en faveur de la relocalisation de nombreuses filières de production et de la sanctuarisation de l’hôpital public, de la sécurité sociale ou de l’éducation nationale. Sept Français sur dix souhaitent « un ralentissement du productivisme et de la recherche perpétuelle de rentabilité » [baromètre Viavoice, avril 2020]. Plus des deux tiers désirent nationaliser les activités stratégiques et mettre en place un protectionnisme européen.

 

Douloureuse fragmentation

 

Ce niveau de soutien à des propositions historiquement clivantes acte un basculement : l’antimondialisme serait devenu majoritaire dans l’opinion. Pour la première fois, le capitalisme est même considéré comme apportant « plus de mal que de bien dans le monde » par une majorité absolue. Une telle unanimité, dans un pays arrêté, ferait du fameux « monde d’après » une évidence.

 

Prolonger artificiellement ce beau moment d’unité nationale pourrait mener à une douloureuse fragmentation post-confinement qui révélerait un grand désaccord. Parce qu’en réalité l’évidence de l’un n’est pas celle d’un autre…

 

Ainsi, si l’on veut éviter que les aspirations réelles à changer de modèle ne se dissolvent progressivement dans un lent retour à la normale, malhabilement vendu comme un « rattrapage », il est impératif et urgent de profiter de la période qui vient pour débattre, à toutes les échelles.

 

L’Europe doit-elle mutualiser sa dette ? L’Etat doit-il renflouer les industries polluantes et les entreprises indélicates au nom de l’économie et de l’emploi ? Les entreprises doivent-elles durablement augmenter les salaires des « derniers de cordée », promouvoir le télétravail et limiter le versement de dividendes ? Allons-nous individuellement continuer à prendre soin les uns des autres ?

 

Les Français mériteraient d’être associés

 

Là où la communication de crise sanitaire repose sur des actes forts suivis d’intenses débats, la communication sur la construction « de l’après » devra faire exactement l’inverse, débuter par le débat pour agir ensuite.

 

La qualité de ces débats conditionne par ailleurs la réussite des plans de sortie de crise. Cela vaut pour les décideurs publics mais aussi pour l’ensemble des organisations et notamment les entreprises. Elles devront se plier à un exercice collectif, franc et transparent d’identification des failles mises à jour par la crise, d’information sur les arbitrages à rendre pour y remédier durablement et d’implication de tous dans la décision finale.

 

Le choix des priorités à « actionner » devra être lui aussi collectif pour être valable (et valide). Les Français, en tant que citoyens, consommateurs ou salariés, mériteraient, d’une part, de voir reconnus leurs efforts pendant la crise et, d’autre part, d’être associés concrètement aux décisions qui affecteront leurs quotidiens.

 

Penser l’organisation de la discorde, en répondant à l’urgence d’un véritable débat citoyen sur les sujets qui fâchent, plutôt que sur le maintien de la concorde, illusoire et précaire, qui nourrit le mythe ravageur d’un bien commun naturel, allant de soi : chiche !

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