En 2020, la Nature est la nouvelle contre-culture.

Depuis le mois de mars et le premier confinement, le grand sauve-qui-peut a commencé. On déplie la carte des alternatives, on choisit une parcelle de nature encore disponible et on monte son oasis à l’abri du tumulte de la modernité.

Artistes, créatifs et intellectuels ne nous parlent plus que de forêt, d’arbres, de champignons, de cabane, de vivant, d’ours, de larves, de micro-aventures, de permaculture, de sorcières et de chasseurs-cueilleurs. À l’appui de cet imaginaire, l’idéal d’un réensauvagement généralisé, l’utopie d’une harmonie retrouvée entre les êtres humains et les écosystèmes dont ils se sont arrachés, au point de devenir une menace pour les équilibres terrestres.

 Lieu par excellence de la culture et de la civilisation, la ville est devenue le territoire à abattre. La métropole, le nouveau gros mot. La gentrification a échoué, révélant parfois crûment les inégalités et dévoilant les faux semblants derrière l’invocation rituelle d’un vivre-ensemble apaisé. Mesuré par le recensement depuis les années 1980, l’exode urbain est redevenu une expression dans l’air du temps. Ce retour du retour à la terre prend des formes variées, de l’habitat alternatif ou léger individuel (tiny house, yourte, maison auto-construite) au tiers-lieu à vocation collective, en passant par le resort écolo-chic de montagne ou l’auberge rurale de type farm to table avec potager accolé au restaurant. N’oublions pas qu’en dépit de ces réjouissantes alternatives dûment instagrammées, l’envie de nature alimente avant tout une extension du domaine du périurbain, dont l’aire d’influence a gagné une nouvelle couronne avec l’option du télétravail.

Le sociologue Bruno Latour s’impose comme l’un des penseurs de cet ensauvagement, en incorporant « Gaïa » au logiciel de lutte des classes du XXIème siècle et en opposant les « Terrestres » aux « Hors Sol ». Sur des pages Facebook réunissant des milliers de déserteurs du modèle urbain s’échangent quotidiennement les bons plans et se nouent les prises de contact en vue de réaliser sa mise au vert. L’ambiance y alterne entre séquence bon enfant du film parodique Problemos et emprunts plus anxiogènes à la science-fiction apocalyptique, de La Route de Cormac McCarthy aux films de zombies. Au sein de ces nouveaux lieux-refuges, sortes de safe space écologiques, l’harmonie sociale et politique est la norme, au risque de reproduire l’entre-soi et la sélection des métropoles que l’on a voulu fuir. On pourrait en conclure que l’archipel français se déporte à la campagne, où il se recompose sous des formes inédites mais non moins marquées.

Signe de la polarisation en cours, depuis quelques temps, deux types d’auteurs squattent le palmarès des essais et ouvrages de non-fiction française : ceux qui dénoncent l’ensauvagement de la société et ceux qui prônent un réensauvagement de l’être humain. Violences, guerre civile, imaginaire décliniste sont les ingrédients des premiers. Célébration du vivant, des modes de vie champêtres et des non-humains sont le carburant vert des seconds. Au-delà de tout ce qui les sépare, ces deux ensauvagements traduisent l’absence d’un projet collectif inclusif.

Thierry Germain et Jean-Laurent Cassely