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Au début du mois de décembre, quelques dizaines d’intégristes catholiques ont fait annuler plusieurs concerts de la chanteuse et organiste suédoise Anna von Hausswolff, qui devait se produire dans l’église Notre-Dame-de-Bon-Port (Nantes) d’abord, puis en l’église Saint-Eustache à Paris. La raison de ces annulations ? Quelques mots issus d’une chanson de 2010 où l’artiste évoque une analogie entre l’addiction aux drogues et une descente aux enfers, et dit avoir « fait l’amour avec le diable ».

En quelques heures, plusieurs dizaines d’extrémistes se sont massés devant l’église où devait se dérouler le concert à Nantes pour bloquer les entrées et empêcher l’événement d’avoir lieu. Reprogrammé le lendemain à Paris, le concert a de nouveau été annulé « pour des raisons de sécurité » par le curé de Saint-Eustache, qui a tout de même précisé que la musique d’Anna von Hausswolff n’était pas « sataniste ».

Si le concert a finalement pu se tenir dans un lieu initialement tenu secret (le temple protestant de l’Etoile, dans le 17ème arrondissement de Paris), ces annulations en série suscitent de nombreuses interrogations.

Sur la capacité de mobilisation (et de nuisance) d’une petite poignée de militants, d’abord, qui parviennent à s’organiser extrêmement rapidement sur les réseaux sociaux, avec des arguments qui vont bien au-delà de l’accusation de satanisme pour rejeter plus largement la musique non-religieuse : « Nous demandons à l’archevêché de Paris de confirmer […] qu’il ne laissera pas le bruit du monde envahir nos églises […]. Sans quoi, les fidèles parisiens montreront qu’ils sont tout autant déterminés à défendre l’honneur de Notre Seigneur Jésus-Christ ».

Sur le silence coupable de l’Etat, ensuite, incapable d’assurer la sécurité du concert et poussant les prêtres à outrepasser leur ministère sacerdotal pour prendre des allures de préfet en annulant un événement susceptible de générer des troubles à l’ordre public.

Sur la hiérarchie entre les lois de la religion et les lois de la République, enfin, lorsqu’on voit qu’il est possible d’exercer une censure de fait sur des œuvres profanes (le « bruit du monde ») mais parfaitement légales, dans des salles – les églises – sacrées mais qui appartiennent au domaine public.

Cette dernière thématique a justement fait l’objet d’un sondage publié récemment par l’IFOP pour la Licra. Selon cette enquête, 40% des lycéens indiquent faire primer les règles de leur religion sur les lois de la République. Le sondage a évidemment beaucoup fait réagir (dans Marianne, Sud Radio ou Valeurs Actuelles, par exemple) en insistant notamment sur la proportion d’élèves musulmans (65%) ayant répondu favorablement à cette question. C’est oublier un peu vite que ceux-ci ne représentaient que 11% de l’échantillon, et que cette question concerne donc bien plus largement l’ensemble de la société française.

Le débat était en réalité revenu sur le devant de la scène quelques semaines plus tôt, après la publication du rapport Sauvé, lorsque l’archevêque de Reims Éric de Moulins-Beaufort avait estimé que le secret de la confession était « plus fort que les lois de la République ». Ces propos avaient déclenché un tollé et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, l’avait alors immédiatement convoqué pour lui rappeler fermement « qu’aucune loi n’est au-dessus des lois de la République. » Moins de deux mois plus tard, le 6 décembre dernier, ce même archevêque recevait pourtant la Légion d’honneur des mains de Gérald Darmanin.

Alors que ces incidents récents prouvent que la messe est loin d’être dite sur la définition de la laïcité et que le débat sur la séparation des Eglises et de l’Etat ne sera jamais totalement clos, doit-on pour autant en revenir aux guerres de clochers qui ont constitué la genèse de la loi de 1905 ? L’Etat ne devrait-il pas sonner la fin de la partie ?

Dans un texte autour des idées de rationalité et de spiritualité qu’il vient de publier dans L’Express, Emmanuel Macron esquisse un début de réponse en appelant à « opposer à l’intégrisme une République ferme dans sa défense, forte de ses valeurs, nourrie par ses débats. » Prenant soin de ne pas opposer science et religion, il souhaite que la France continue à « être une nation infiniment rationnelle et résolument spirituelle. Nation de citoyens libres de critiquer et libres de croire. »

Et libres d’assister à des concerts ?