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Une image vaut mille mots. C’est une évidence mais la campagne présidentielle ne cesse de le prouver à nouveau. En témoigne par exemple cette revendication ancienne de Jean-Luc Mélenchon : faire en sorte que les photos qui illustrent les articles dans lesquels il est cité soient a minima neutres, à défaut d’être belles. Il est vrai que certains choix interpellent, comme pour cet article du Télégramme (2013), régulièrement cité en exemple par son équipe : le candidat insoumis y est représenté sous les traits d’une « gargouille », selon les mots de son ancienne attachée de presse. Sans aller jusqu’à cet extrême, force est de constater que pour un grand nombre d’articles (en particulier sur le web), les photos de Jean-Luc Mélenchon contribuent à renforcer l’archétype du candidat-tribun, avec le verbe haut et le geste fort.

Si Jean-Luc Mélenchon est plutôt victime de son traitement iconographique dans les médias, d’autres candidats ont volontairement fait le choix d’essayer de donner une coloration spécifique à leur campagne, photos à l’appui. De fait, depuis Jean Lecanuet en 1965, le champ de bataille politique s’est largement déplacé du terrain des mots à celui des images. Cette tendance se renforce évidemment avec les réseaux sociaux, qui permettent une relation désintermédiée avec les électeurs. Ces derniers sont directement destinataires des photos que souhaitent mettre en avant les équipes des candidats, sans aucun filtre (#nofilter).

 

Emmanuel Macron garde la distance

A ce jeu-là, Emmanuel Macron avait pris une longueur d’avance. Sa photographe, Soazig de la Moissonière, partage depuis cinq ans des photos du candidat, puis du président, puis de nouveau du candidat sur son compte Instagram. Ces dernières semaines, les images contribuent à renforcer la mise en scène d’un candidat jupitérien. Il est représenté le plus souvent seul : à son bureau de l’Elysée en pleine crise ukrainienne, au centre et sur une estrade lors de ses conversations avec les Français, seul sur scène lors de sa qualification au second tour le 10 avril dernier.

L’objectif ? Cultiver l’image d’un président concentré, à la tâche, qui vise l’efficacité réelle de son action. Dans ce cadre, le président surcontrôle son image : il a ainsi été le seul candidat à fournir son propre flux vidéo aux télévisions lors du premier tour, pour un discours qui avait des allures de meeting. Même lorsqu’il s’affiche de manière plus décontractée (en sweatshirt à l’Elysée ou avec une casquette en répétition du meeting au Paris La Défense Arena), sous couvert de rompre avec la stature présidentielle, Emmanuel Macron ne fait que renforcer celle-ci en évoquant l’image d’un président américain hyperpuissant, actif sur la scène internationale. Et lorsqu’il adopte le style BHL – chemise largement ouverte sur un généreux tapis de poils – à l’issue de son meeting à Marseille, c’est pour souligner la dimension physique de sa performance. Dimension physique dont il joue aussi pour rappeler sa jeunesse (lui qui séduit surtout les plus de 65 ans, au vu des derniers résultats électoraux) et sa fougue, avec des photos le montrant sauter, courir ou monter des marches quatre à quatre.

La série « Le Candidat », lancée par Emmanuel Macron, est un bon exemple de sa volonté de maîtrise des images : des capsules vidéos enregistrées, très scénarisées et qui laissent peu de place à la spontanéité. Dans l’épisode 5, Emmanuel Macron théorise sa propre relation avec les Français : « J’aime les gens, j’aime convaincre. […] Je suis un tactile, je suis un besogneux. ». Il poursuit : en allant au contact de ceux-ci, « on capte des choses, on capte des réalités, elles s’impriment dans ces moments-là ».

Cette volonté de convaincre se retrouve dans les séquences d’échanges spontanés entre les Français et le président-candidat. Loin des bains de foule habituellement recherchés par les élus, Emmanuel Macron s’est installé depuis quelques temps dans une forme de confrontation avec les Français qu’il rencontre, comme le montre par exemple une vidéo tournée en Alsace, où un homme l’interpelle vivement avant d’engager un échange tendu avec le président. Emmanuel Macron explique, discute, débat, mais en gardant toujours une forme de distance. Contrairement à ce qu’indique son slogan de campagne (« Avec vous »), il se retrouve en réalité bien plus souvent face aux Français, une position qu’il connaît bien et qu’il affectionne. Une communication « gestes barrières » qui tranche profondément avec celle de son adversaire au second tour, Marine Le Pen. Alors que le candidat LREM mise plus sur la raison, l’ex-présidente du RN joue, elle, plus sur l’émotion.

 

Marine Le Pen, à bras ouverts

Sur le fil Twitter de sa campagne, les dernières publications mettent en scène la proximité physique de Marine Le Pen avec les Françaises et Français. Selfies, accolades, autographes, poignées de mains, bises appuyées, étreintes… les gestes tactiles se multiplient. Marine Le Pen construit une posture d’empathie et de bienveillance. A peine peut-on déceler une pointe d’impatience lorsqu’elle s’empare du téléphone pour prendre elle-même la photo qu’un homme lui demande. Ces mises en scène obéissent à une logique claire : adoucir l’image de la candidate, contrebalancer les représentations de rudesse et d’agressivité, renforcer son aura protectrice et tutélaire contre un Président perçu comme distant et arrogant.

Lors du dernier Petit débat organisé par Bona fidé sur l’état de l’opinion et de la démocratie à la veille du premier tour de l’élection présidentielle, notre invité, Didier Le Bret, notait ainsi que les photos de campagne de Marine Le Pen montrent systématiquement la même chose : la candidate qui entoure ses sympathisants de ses mains, signe qu’elle « accueille et absorbe la misère et la souffrance » des Français.

Le corps comme première arme, sourire davantage et valoriser sa féminité sont depuis plusieurs années au cœur de sa stratégie. Images de campagne et passages dans les médias à l’appui, Quotidien a décrypté cette évolution entre 2017 et 2022 où les sourires ont remplacé le visage fermé d’une responsable politique alors souvent décrite comme dure. Un article récent du Monde est également revenu sur la mission de la communicante de Marine Le Pen, Caroline Parmentier : « Elle revendique d’avoir  “féminisé”  l’apparence de sa championne, vante le carré blond  “le plus célèbre de France”. “C’est une femme, elle est belle”, répète-t-elle en exigeant des photographes qu’ils se placent dans un angle favorable et utilisent de “jolies” photos. “L’image est extrêmement importante, dit-elle. Les journalistes se permettaient tout et n’importe quoi. Tout le monde voit la photo et se dit : “Elle fait peur, oh ! là là.” Petit à petit, ils ont retiré les horreurs. »

Cela passe enfin par le choix des mots. Dans une vidéo publiée sur son compte Twitter, Marine Le Pen répond d’un « oui ma belle » à une jeune femme qui sollicite une photo, dans un élan quasi-maternel, de sororité. Sur Twitter, les références et hommages aux Françaises et aux mères sont par ailleurs nombreuses et régulières. Cela porte ses fruits : une femme sur deux considère Marine Le Pen comme « féministe ».  L’ancienne miss France Delphine Wespiser a même appelé à voter pour « une présidente, une maman des Français, qui a une sensibilité de femme ».

Ce minutieux travail de reprise en main de son image doit surtout servir le programme et les idées, dans la lignée de la stratégie de dédiabolisation de son camp. Aidée par Eric Zemmour à sa droite qui a contribué à normaliser et crédibiliser sa candidature, Marine Le Pen a cherché ces derniers mois à se forger une stature présidentielle de femme d’Etat – un message écrit directement sur son affiche de campagne – portée par l’élan du peuple. Assumant son échec personnel lors du débat de l’entre-deux-tours de 2017, un naufrage pour la presse à l’époque, elle a revendiqué s’être rigoureusement préparée au duel du 20 avril 2022, un duel politique mais surtout symbolique qui s’est en partie joué sur les images.

Bien que le principe de quelques plans de coupe seulement ait été retenu afin d’éviter de montrer les candidats en train de lire des fiches, s’hydrater ou tout simplement éviter les expressions de visage et les gestes qui pourraient leur nuire, la forme a compté autant que le fond. La théâtralité a joué, les corps et les postures ont parlé, en contradiction quelques fois avec la stratégie adoptée tout au long de la campagne : Emmanuel Macron sûr de lui, parfois narquois ; Marine Le Pen, crispée et le visage fermé.

 

L’imaginaire et les apparences déterminants au moment de voter 

A tous les instants de la campagne, chaque image est en réalité une nouvelle brique d’une stratégie plus globale qui doit façonner un air, un style, une certaine relation aux Français et au pays. Jusqu’ici, les orientations respectives des candidats fonctionnent : selon une étude Odoxa-Mascaret pour Public Sénat publiée cette semaine, Emmanuel Macron est davantage perçu comme un homme d’Etat, tandis que Marine Le Pen est jugée plus proche des gens.

Dans le jeu des élections que l’on présente encore comme une rencontre entre un projet, celle ou celui qui l’incarne et le peuple qui vote, l’imaginaire et les apparences que l’on construit deviennent alors déterminants. Ils doivent peser sur le vote qui ne sera pas parfaitement rationnel mais partiellement soumis à l’influence des impressions, des sentiments inspirés, des images vues… quitte alors à pousser l’exercice un peu loin et à en perdre le bénéfice. Qui trop embrasse mal étreint.

 

Dans un registre autrement plus tragique, la crise ukrainienne a elle aussi montré comment des images et un récit (en somme, la propagande) deviennent stratégiques pour remporter la bataille des perceptions et de l’opinion. Vladimir Poutine apparaît ainsi souvent seul ou éloigné de ses interlocuteurs autour de très longues tables, comme un écho à son isolement croissant sur la scène internationale ; à l’inverse, Volodymyr Zelensky est fréquemment entouré de ses proches, en treillis, sur le terrain. Il apparaît lié dans son corps au destin de l’Ukraine, premier défenseur de l’unité du pays et de la liberté des Ukrainiens.