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COVID-19 : les Français face aux « actes lourds » de la communication gouvernementale ?

En 1989, le politologue Jean-Luc Parodi publie dans la revue Hermès sa théorie des « actes lourds ».

En 1989, le politologue Jean-Luc Parodi publie dans la revue Hermès sa théorie des « actes lourds ».  Un acte lourd y est défini comme une action, une parole, un discours de la part d’un dirigeant politique fortement, « lourdement » mémorisé par l’opinion publique et structurant en conséquence dans la durée et en profondeur des représentations majoritairement négatives à son égard. La suppression de l’ISF en 1986, « plombant » Jacques Chirac à l’élection présidentielle de 1998, ou encore le combo « Fouquet’s/yacht » de Nicolas Sarkozy, lui collant aux basques tout le quinquennat, sont des exemples presque « purs et parfaits » d’actes lourds. L’histoire dira si les multiples petites phrases d’Emmanuel Macron, du « gaulois réfractaire » aux « Français chamailleurs », rentreront in fine dans cette catégorie.

 

Avant cela, l’analyse nous montre que deux actes lourds sont venus durablement et structurellement grever la communication gouvernementale sur la crise sanitaire. Le premier est un acte perçu comme une erreur : la tenue du premier tour des élections municipales le 15 mars dernier. Une partie des Français l’a contestée dès le jour même avec ses pieds, en ne se rendant pas aux urnes. Le taux de participation a été de 20 points inférieur à celui de 2014, soit une abstention supplémentaire de plus de 9 millions de Français. Au fil du temps, et des multiples articles et reportages sur les contaminés de la campagne et des bureaux de vote, la tenue de ses élections s’est imposée dans la mémoire collective comme une erreur. Elle est apparue inconséquente et incohérente avec le reste des mesures prises. Pourquoi fermer les bars et restaurants le samedi soir, les écoles le lundi, et laisser se tenir les municipales le dimanche ? Dans toutes les enquêtes d’opinion publiées depuis, environ 85% des Français considèrent que le gouvernement aurait du reporter le premier tour et 74% estiment qu’il a réagi « trop tardivement » face à l’épidémie.

 

Le deuxième, plus lourd encore sans doute, est perçu comme un mensonge : il s’agit bien évidemment de l’ensemble des discours tenus en début de crise sur l’inutilité des masques. La parole politique, la parole des sachants s’est heurtée là au bon sens public. Même si un masque ne protège pas à 100%, le bon sens laisse à penser qu’il vaut quand même mieux en avoir un que pas. En conséquence, les préconisations et recommandations des autorités publiques en la matière ont été décryptées comme un mensonge de communication pour masquer une pénurie et un Etat défaillant. Les Français ont eu le sentiment que la parole scientifique était instrumentalisée au profit d’intérêts politiques. Les louvoiements qui ont suivi jusqu’à la recommandation formelle d’en porter un dans l’espace public, et l’obligation dans les transports en commun, n’ont pu, bien entendu, que confronter les Français dans leur opinion initiale. A l’heure de la population informée et en réseaux, le sujet des masques a été LE crash de la communication de crise gouvernementale. 80% des Français pensent aujourd’hui que le gouvernement « a caché » certaines informations (Ifop, mai 2020) et 75% sont convaincus qu’il a menti sur les masques (Odoxa, mai 2020).

 

Le scénario, et la fatalité de la défiance, n’étaient pourtant pas écrits d’avance. Le caractère absolument inédit, et dramatique, de la crise aurait pu aboutir à un sursaut de confiance à l’égard du gouvernement. Juste après la prise de parole présidentielle devant plus de 25 millions de Français le 14 mars, la confiance dans la gestion de crise de l’exécutif est majoritaire, à 55%. Elle commence ensuite à s’éroder fortement à partir du 20 mars, c’est-à-dire du moment où la polémique sur les masques enfle et envahit les plateaux-télés. Elle continue ensuite son orientation à la baisse pour atteindre son étiage le 7 mai, à 28%. En un mois et demi, la confiance dans la gestion de crise du gouvernement a donc perdu 27 points (baromètre BVA de suivi quotidien de la crise).

 

Tchernobyl, le sang contaminé, l’amiante, le Médiator, Lubrizol,… du point de vue de la communication publique et de sa réception dans l’opinion, la crise du COVID-19 s’inscrit dans un long continuum, sans la moindre rupture. Le gouvernement a ainsi échoué à changer un paradigme d’opinion qui demeure le même à chaque fois, celui de la défiance, du soupçon, des reproches de mensonges et de manque de transparence. Pire même, l’opinion trouvera sans doute dans la litanie de ces crises et scandales sanitaires des dernières décennies la confirmation de ses représentations profondes sur la fracture grandissante entre gouvernants et gouvernés.

 

Samuel JEQUIER

Publié le 22/05/2020

Samuel JEQUIER

Directeur général adjoint

Agrégé de sciences sociales, Samuel Jequier a rejoint Bona fidé en 2021, et y dirige l’Institut, qui veille, analyse, produit et réalise des études qualitatives et quantitatives sur-mesure pour les clients de l’agence. Convaincu de la nécessité de comprendre la société et ses rapports de force, féru de politique et d’analyse des comportement électoraux, il flèche les mouvements, harponne les idées, mouline les tendances, ferre les changements. Et désarme l’ensemble des leurres.

Tags : Vie Politique Post

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