La santé est une préoccupation majeure pour les Français depuis plusieurs années

Dans le cadre de son enquête La France en morceaux : Baromètre des Territoires 2019, l’Institut Montaigne avait pu étudier avec précision les fractures territoriales et sociales françaises en matière de santé. À la question « Quels sont les sujets qui vous préoccupent le plus personnellement ?« , la santé arrivait en troisième position derrière le pouvoir d’achat (40 %) et les retraites (26 %). Les Français sont autant préoccupés par l’emploi que par la santé : 25 % d’entre eux estiment que c’est une préoccupation majeure. Les inégalités (24 %), la menace terroriste (21 %), la sécurité (17 %) ou la protection sociale (9 %) sont des sujets qui inquiètent moins les Français.

Les difficultés d’accès aux soins sont également un sujet de préoccupation pour bon nombre de citoyens français. Conscients de l’importance d’un accès rapide à des soins de qualité, les Français prêts à payer plus d’impôts citent pour 31 % d’entre eux l’amélioration du système de santé, juste derrière la réduction de la pauvreté, citée par 36 % des répondants. La réduction de la pollution est citée en troisième position (23 %).

Pourtant, les sujets liés à la santé et à l’accès aux soins n’avaient pas émergé comme des thèmes majeurs lors de la dernière campagne présidentielle de 2017. La crise sanitaire actuelle semble avoir changé la donne.

« Le XXIe siècle sera le siècle de la santé publique ou ne sera pas ! »

Depuis plus d’un an, nous vivons dans un contexte sanitaire inédit et la santé est devenue le sujet principal du quotidien des Français. Si la crise des hôpitaux et des services d’urgence avait déjà émergé dans le débat public en 2019, la crise Covid-19 a propulsé sur le devant de la scène les problématiques de pénuries de soignants en France et les capacités d’accueil limitées de nos services d’urgence ou de réanimation.

Elle a aussi mis en lumière les fractures entre le monde hospitalier, les cliniques privées et la médecine de ville, des fractures renforcées par un Ségur de la santé jugé trop centré sur l’hôpital par les syndicats de médecins généralistes. Sur la question de l’égalité d’accès aux soins, la crise du Covid-19 a aussi suscité une plus forte prise de conscience de ces enjeux.

 

A la faveur de la crise, les préoccupations de santé publique semblent dépasser les préoccupations économiques et de justice sociale. C’est en tous cas ce que semblent indiquer certains sondages. En novembre 2020, 2 Français sur 3 estiment que le plus important est de limiter l’épidémie de Covid-19, même si cela a un impact négatif sur l’économie du pays et l’emploi. Sur la scène politique, ce renversement de la hiérarchie des normes se matérialise concrètement ; en France, le “M. Déconfinement” du gouvernement est devenu Premier Ministre en juillet 2020. Aux États-Unis, les premières décisions politiques du président élu Joe Biden se concentrent sur la gestion de la pandémie, avec la mise en place d’une cellule de crise dédiée.

Comme l’écrit le philosophe Frédéric Worms, « le XXIe siècle sera le siècle de la santé publique ou ne sera pas ! » et nos dirigeants doivent cesser d’opposer santé et économie et faire de la santé publique un critère global qui irrigue l’ensemble des politiques publiques.

 

Le numérique au chevet des professionnels de santé et des patients

 Si l’enjeu des équipements et des personnels a été central pour combattre le virus, les opportunités liées au numérique appliqué à la santé (e-santé) ont également été déterminantes dans la réponse rapide à la pandémie comme l’ont montré de nombreux pays. Les technologies numériques, encore sous-utilisées dans le secteur de la santé en France, sont pourtant des outils clés pour améliorer l’efficience, la qualité et la sécurité de notre système de santé. Elles sont créatrices de valeur pour l’ensemble des acteurs de l’écosystème en ce que :

  • Les patients sont rendus plus autonomes à travers des solutions digitales leur permettant de suivre leur maladie et d’interagir avec le système de soins.
  • La circulation des informations médicales entre professionnels est fluidifiée au bénéfice des patients, par la dématérialisation des échanges.
  • L’efficacité des structures de soins est décuplée et l’expérience des patients améliorée grâce au numérique et à l’automatisation.
  • La décision médicale et paramédicale est rendue plus fiable et sûre avec l’aide de l’intelligence artificielle (IA).
  • La télémédecine permet l’accès à distance d’un patient à un professionnel de santé.

En effet, depuis les débuts de la crise sanitaire en mars 2020, la télémédecine a permis de limiter l’engorgement des hôpitaux en exerçant un premier tri entre les malades les moins sévères pouvant être pris en charge à domicile et ceux nécessitant une hospitalisation. Elle a aussi été un outil précieux pour anticiper les flux de patients et allouer les ressources médicales et de matériel en conséquence.

La téléconsultation (consultation entre un professionnel médical et un patient par l’intermédiaire des technologies de l’information et de la communication), dont les conditions d’exercice ont été largement assouplies pendant la crise, est également essentielle en cas de pandémie pour permettre le suivi des patients chroniques non atteints par le Covid-19 et assurer la continuité des soins, alors que tous les services des hôpitaux étaient dédiés à la lutte contre la pandémie.

En parallèle, la téléexpertise (possibilité de solliciter à distance l’avis d’un autre professionnel sur la prise en charge d’un patient) a rendu possible le partage d’information entre professionnels de santé en les mettant en relation avec des confrères pour avoir un second avis médical sur un cas précis.

 

Les données de santé au secours des décideurs publics

 Si les Français ont pris conscience des nombreux défis (l’explosion des maladies chroniques, le vieillissement de la population, l’évolution du nombre de soignants sur le territoire, la soutenabilité économique du système de santé et les nouveaux défis sanitaires et sociaux, etc.) auxquels fait face notre système de soins et de l’importance de déployer massivement le numérique pour apporter des réponses concrètes et efficaces, ils ont aussi découvert que l’analyse des données de santé permettaient de mieux comprendre l’évolution de l’épidémie de Covid-19.

Les données sont en effet précieuses pour concentrer les efforts, casser les chaînes de contamination et éviter que l’épidémie se répande de façon exponentielle dans la population, en ciblant les personnes contaminées ou susceptibles de l’avoir été et en protégeant celles qui risquent le plus d’en mourir (personnes âgées, personnes atteintes de maladies chroniques, etc.). Elles permettent également l’identification des clusters et le contact tracing via des applications mobiles et des systèmes d’information pour « remonter » les chaînes de transmission du virus et isoler les personnes potentiellement atteintes.

Ainsi, les données de santé sont indispensables pour assurer un suivi de l’évolution de l’épidémie sur le territoire mais aussi pour organiser et surveiller un déconfinement progressif, grâce à une connaissance parfaite de la circulation du virus en temps réel.

Plusieurs plateformes développées par des citoyens, comme CovidTracker, ont mis en place des outils de visualisation des données françaises et internationales, en lien avec l’épidémie de Covid-19 : évolution du nombre de cas positifs en France et à l’étranger, nombre de personnes en réanimation, taux d’incidence dans les différents départements, etc. à partir de données publiques. La plateforme a aussi mis en place il y a quelques mois un outil nommé VaccinTracker dont l’objectif est de visualiser l’avancement de la campagne vaccinale. L’intérêt du site ne s’arrête pas là, un module est récemment venu confirmer l’intérêt de la plateforme : “Vite ma dose !” qui vise à aider les Français à trouver un rendez-vous pour se faire vacciner, proche de chez eux.

L’épidémie de Covid-19, en propulsant sur le devant de la scène politique et médiatique les défis auxquels notre système de santé fait face, a rendu possible une véritable prise de conscience de l’importance de bâtir un système de santé innovant, efficient, qui répondent aux attentes des patients et des professionnels. Elle permettra certainement de faire de la santé une des thématiques centrales de la future élection présidentielle, puisque de nombreux défis restent à relever : utilisation des données de santé pour améliorer la recherche clinique et médicale, acculturation des décideurs et des professionnels aux outils numériques de santé, prise en compte du vieillissement dans les politiques de santé, rôle des patients à travers le chantier de la pertinence des soins.

Par Laure MILLET, Responsable du Programme santé, Institut Montaigne