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Pourquoi avons-nous plus que jamais besoin de « l’ Esprit de Noël »

Nous l’appellerons Cynthia, et lui, Chad. Chad et Cynthia sont jeunes, riches, beaux et surdiplômés. Tous les…

Nous l’appellerons Cynthia, et lui, Chad. Chad et Cynthia sont jeunes, riches, beaux et surdiplômés. Tous les deux habitent dans l’une de ces grandes métropoles américaines où se concentrent tous les CSP+ américains – le plus souvent, Philadelphie, Boston ou Washington DC. Qu’ils travaillent dans la finance, la communication ou le droit des affaires, rien ne va plus dans la vie de Chad et Cynthia. A quelques jours de Noël, le burn-out les guette. Voire pire, un licenciement.

 

A partir de là, plus le choix, le retour au bercail s’impose. Chad ou Cynthia retrouvent la maison familiale à la veille du réveillon – la plupart du temps, un adorable chalet bordé par les splendides lacs et forêts enneigées du Vermont. L’occasion d’un retour à la nature vivifiant mais aussi – et surtout – du surgissement d’un véritable « miracle de Noël » : la rencontre providentielle, pour Cynthia, du séduisant charpentier du coin ; et pour Chad, de la ravissante camarade de classe restée au village où il a passé son enfance – idéalement, celle-ci est devenue institutrice ou libraire.

 

 

L’Esprit de Noël, aseptisant ou apaisant ?

 

Tous les amateurs du genre auront reconnu ici le scénario-type d’un modèle de fiction qui déferle sur nos écrans à l’orée du mois de décembre : le téléfilm de Noël. On pourrait choisir la solution de facilité, et se gausser de la naïveté des millions de téléspectateurs prêts à se passionner durant un mois pour les aventures de Chad, Cynthia et de leurs innombrables déclinaisons. Il est nettement plus intéressant de se pencher sur les ressorts collectifs qui animent ce besoin irrépressible de se lover dans ces délicieuses petites bulles fictionnelles.

 

Tout d’abord, il faut bien comprendre que l’ambiance joliment folklorique de Noël ne sert ici que de prétexte à l’expression des innombrables aspirations plus ou moins avouées des habitants des grandes villes, aspirations qui se sont trouvées renforcées suite aux deux périodes de confinement subies depuis le début de l’épidémie : désir de renouer avec une nature forcément idéalisée, recherche d’une forme de “convivialité de quartier” ayant disparu des métropoles, quête d’un amour “authentique”, loin des ersatz de rencontres promis par les applications de rencontre… Il n’est d’ailleurs pas anodin, à cet égard, que certaines chaînes grand public aient décidé de reprogrammer ces téléfilms… En plein mois d’avril !

 

 

La passion de la certitude

 

Mais en poussant un peu plus loin l’analyse, c’est aussi et surtout l’absolue certitude d’un dénouement heureux – « Esprit de Noël » oblige – qui nous séduit et nous obsède dans ces fictions. La conviction que, quoi qu’il arrive, tout ira bien, in fine. En effet, comme le conceptualisait le philosophe Paul Ricœur dans Temps et récit, tout être humain ressent en lui le besoin de bâtir un édifice fictionnel rassurant sur sa propre existence, un récit qui lui permette de se saisir avec certitude dans sa permanence, au-delà du passage du temps et des aléas de la vie. Pour beaucoup d’entre nous, l’épidémie de Coronavirus a largement fait vaciller les fondements de ce bel édifice. Selon un sondage récent de l’IFOP, 70 % des Français se déclarent pessimistes en pensant à l’avenir, pour eux comme pour leurs enfants.

 

A cet égard, « l’Esprit de Noël », tel qu’il se décline dans le champ de la fiction, opère une véritable fonction thérapeutique, nous guérissant, au moins le temps d’un feuilleton, des angoisses dans lesquelles nous plonge la période que nous traversons. Les mauvaises langues assimileront cela à de la lâcheté, mais qu’importe : tout le monde n’est pas en mesure, comme le philosophe Friedrich Nietzsche, de développer “l’amor fati” – c’est à dire d’embrasser toutes les vertigineuses potentialités que recèle son propre destin ; d’adopter cette posture “d’acquiescement au devenir face à l’incertitude”, pour reprendre la belle formule élaborée par son disciple, le philosophe et écrivain Dorian Astor, auteur de La Passion de l’incertitude, aux éditions de l’Observatoire.

 

Une autre citation du philosophe allemand relevée par Dorian Astor est peut-être davantage porteuse d’espoir : « à chaque époque, il y a toujours un monde en décomposition et un monde en devenir ». En attendant de pouvoir cerner les contours de ce nouveau monde, célébrons l’Esprit de Noël et – surtout – longue vie à Chad et Cynthia !

 

Elena SCAPPATICCI

Boules Noel Branches
Publié le 12/11/2020

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Tags : Divers Post

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