Notre société ne partage aujourd’hui plus de communs, entend-on un peu partout. Un sentiment au moins semble échapper à la règle : celui que la terre tremble sous nos pieds, que ce tremblement est de plus en plus menaçant. Depuis quelques mois, guerre et crises diverses aidant (écologique, climatique, économique, etc.), chacun comprend que les fractures que l’on croyait réparables ne le sont pas. Il faut bouger. Mais pour aller où ? C’est la grande question. Certains pensent que les riches s’en sortiront toujours, qu’ils trouveront bien le moyen de se réfugier dans des zones tempérées ou qu’ils coloniseront de nouvelles planètes dont ils nous cachent encore le nom.
La vérité est que la terre est ronde et que nous avons plutôt intérêt à trouver de vraies solutions. Après une période de déni collectif, chacun pressent de manière de plus en plus impérative qu’il va falloir accepter de changer. Fin de l’abondance, fin de l’insouciance… et début de la sobriété, dans toutes nos pratiques de consommation, de l’énergie au textile, de l’alimentation à l’électricité. Une forme d’économie de la modestie s’impose comme règle nouvelle, une économie de la nécessité, de la juste mesure, contre les excès de la surconsommation et promouvant des comportements plus responsables et à moindre impact sur la planète.
Les Français semblent disposés à y entrer de plain-pied : 65% d’entre eux disent adhérer au concept de sobriété et 72% se déclarent prêts à une consommation plus sobre à l’avenir, selon une étude Viavoice. Ce changement en cours de modèle de consommation, rompant avec les fondements historiques de croissance de l’économie capitaliste, pose indéniablement la question du discours, du langage et de la communication. La fin de l’abondance, la mort annoncée de la société de consommation signent aussi la fin de l’emphase, du lyrisme, de l’autopromotion béate et de la sur-promesse, en un mot la fin de la communication frivole et de la communication gloriole ! Il nous faudra nous départir de l’abondance de nos contenus et de la tonalité tonitruante de nos débats si l’on veut que la forme rencontre le fond.
Société moins conquérante. L’économie du langage pourrait bien devenir la nouvelle règle de la communication, au sein d’une société moins conquérante et plus écologique. L’entreprise n’a pas d’autre option que d’adopter cette idée de sobriété dans son propre discours pour entrer en résonance avec ses publics. Sérieux, sobriété, simplicité : la communication entre dans une nouvelle ère. Et si elle y gagnait en efficacité et en crédibilité ? Derrière la sobriété, il y a aussi la question de l’authenticité et de la vérité. La sobriété oblige de fait à la simplicité des mots, à retrouver un langage commun, perdu depuis des décennies par trop d’abus, de novlangue pour initiés, de technocratisme verbal et d’euphémisation.
La sincérité et la simplicité feront la différence pour être écouté par une opinion défiante, désormais acculturée au décryptage des mécanismes de communication. Une opinion qui ne supporte plus les dénis du réel, le « tout est bien, tout va bien » et l’accumulation de mots qui ne sont pas les siens. Le champ du changement est immense pour les entreprises. Plus de huit Français sur dix sont incapables de citer une entreprise « engagée » ; plus de sept sur dix considèrent que les entreprises ne sont pas suffisamment impliquées dans les réponses à la crise écologique et seuls deux sur dix connaissent la signification du sigle RSE selon une enquête récente de l’Obsoco.
La sobriété est un levier pour recréer un langage qui parle à nouveau dans un monde où « plus rien n’imprime » et retrouver de l’adhésion. L’exemple a été assez peu souligné, mais reste probant : Edouard Philippe est devenu populaire lors du premier confinement (gagnant plus 15 points de popularité entre mars et mai 2020) grâce à une expression modeste sur le Covid et une posture d’humilité (« nous savons que nous ne savons pas tout », « nous essayons de trouver les moins mauvaises des solutions »…), sur lesquelles il ne cesse de capitaliser depuis. Après l’addiction au bullshit, la simplicité du discours et du langage : cette révolution copernicienne pour politiques, journalistes et marques est sans doute l’écot à payer pour retisser du lien et de la confiance avec ses publics. « Le langage de la vérité est simple », disait Sénèque.
Raphaëlle Ginies et Samuel Jequier, respectivement directrice générale et directeur général adjoint de Bona fidé.
Cette tribune a été publiée le 22 décembre 2022 dans L’Opinion